Au Théâtre de la Ville, dans le cadre du Festival d’Automne, l’architecte du langage s’attaque à tous les thèmes de sa vie : l’amour, la famille et la mort, dans un flow sans ponctuation sur le temps qui passe inéluctablement.
Les Conséquences semble être la suite directe de Mon absente, pièce majeure de Rambert, qui se donnait la saison dernière au T2G. À cette époque-là, une famille se réunissait autour d’un cercueil. Cette fois-ci, on reprend les mêmes, on recommence, mais on change de méthode pour cacher son cadavre. Nous voici dans une tente de fête, une grande bâche blanche qui compte six tables, quelques bancs et des dizaines de fauteuils en plastique empilés. Et sur une table, on voit une urne funéraire en forme de goutte d’eau bleue. Pour le moment, sur ce plateau vide d’humain·e·s, c’est le seul point de couleur, et cela ne va pas durer. Bientôt, les filles vont surgir en robes lumineuses, quand les hommes, eux, restent en costume-cravate noir. On prend les mêmes et on recommence, ou presque. Rambert aime travailler au long cours avec ses comédien·ne·s, en l’occurrence : Audrey Bonnet, Anne Brochet, Paul Fougère, Lena Garrel, Jisca Kalvanda, Marilú Marini, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Laurent Sauvage, Mathilde Viseux, Jacques Weber, entendez : toutes les générations du théâtre réunies ici, sur le plateau mythique du Théâtre de la Ville.

À un moment, quelqu’un dira une phrase qui est le résumé de la pièce : « Il y aura des naissances, il y aura des mariages, il y aura des funérailles, et ce sera bien. » Et c’est bien cela qui se passe : la vie dans son intimité. L’une des choses les plus merveilleuses dans le travail et l’écriture si ciselée de Pascal Rambert, c’est son rapport ultra-actuel à l’air et aux questions du temps. Architecture, en 2019, par exemple, parlait du langage pour dire l’effondrement de l’Europe. Mes frères, en 2021, était un conte qui venait combattre la domination masculine. Mon absente, sous couvert d’être la cérémonie mortuaire du seul personnage jamais nommé, venait enterrer des conceptions archaïques. Les Conséquences, qui est présenté comme la première partie d’une trilogie, vient rassembler tout cela. Le metteur en scène s’éclate à s’autociter en rejouant, de nouveau, la plus grande scène de rupture de l’histoire du théâtre contemporain, Clôture de l’amour, entre « Stan » et « Audrey ». On les revoit cette fois-ci, juste avant la fin. Elle en aime un autre comme elle ne l’a jamais aimé, lui, c’était donc pour ça qu’il fallait « s’arrêter là ». Il lui demande : « Vous vous aimez tout le temps depuis combien de temps ? » On comprend mieux maintenant. Merci, Pascal.
Au milieu de cette salle qu’on imagine communale, la vie défile, elle sprinte même. Les comédien·ne·s passent leur temps à apparaître et disparaître, comme avalé·e·s par les ouvertures de la tente. Les séquences semblent ainsi se dérouler sans arc narratif, les choses arrivent, c’est tout. Nos décisions ont des conséquences, nous disent ces personnages dans leurs actions. Décider de se marier, de divorcer, de tuer un leader d’extrême droite ou de faire un discours : tout est égal à tout dans cette langue en continu, dont la ponctuation existe seulement par les corps fous des comédien·ne·s. Jacques Weber est impérial en linguiste et psychiatre. Laurent Sauvage et Stanislas Nordey sont parfaits en amoureux perdus, Audrey Bonnet brille en femme passionnée, Arthur Nauzyciel rappelle qu’il est un merveilleux comédien qui craque avec délice, Anne Brochet est parfaite en femme qui décide de prendre sa vie en main à 60 ans, Jisca Kalvanda brille dans ses convictions, Lena Garrel et Mathilde Viseux forment un duo à la colère lumineuse, Paul Fougère rappelle que dans la vie, on a le droit de changer de vie, et que c’est « ok ».

Les Conséquences est un spectacle à la fois nostalgique et ancré dans son époque. Rambert est obsédé par l’idée de faire du théâtre pour « les générations », toutes les générations, pour qu’elles puissent se parler encore. Et pourtant, on entend des plaintes, des parents qui auraient aimé être au courant avant « les autres » des grandes nouvelles de la vie de leur enfant. Mais voilà : « La vie appartient seulement à celui ou celle qui la vit », nous dit Audrey Bonnet. Nous gardons de ces Conséquences les joutes verbales qu’il maîtrise si bien et les grands monologues, ici, tous intérieurs, tous silencieux pour les premier·e·s concerné·e·s, mais qui hurlent à l’extérieur de la famille. Pascal Rambert prévoit d’achever sa trilogie en 2029, avec Les Émotions et La Bonté, avec, à chaque fois, la même distribution. Nous verrons donc comment il s’amusera à détricoter « le langage performatif » qu’il aime tant.
Au Théâtre de la ville x Festival d’Automne, jusqu’au 15 novembre
Visuel :© Louise Quignon