La MC 93 accueille jusqu’au 28 janvier Art. 13, de Phia Ménard. Un magnifique réquisitoire chorégraphique contre la fermeture des frontières.
Un jardin à la française « correct, ridicule et charmant », comme aurait dit Verlaine. Un gazon taillé au millimètre, des allées de gravier, des bosquets bien carrés et, surtout, cette statue qui trône au beau milieu du décor. Ainsi se présente le plateau de la salle Oleg Efremov de la MC au début de la pièce.
Mais, à la cour, se trouve un corps mal défini. Recroquevillé, mal à son aise, c’est celui de Marion Blondeau, qui signe également la scénographie du spectacle. Sa forme nous évoque vaguement quelque chose. Peut-être la pancarte, qui occupait l’avant-scène avant l’ouverture de l’épais rideau noir, nous aidera-t-elle à retrouver ce souvenir confus : «Alan Kurdî, 2012-2015, plage de Bodrum». Une pancarte, ou est-ce une stèle funéraire ? Cet Alan Kurdî, c’est ce très jeune enfant retrouvé mort sur la plage de Bodrum et auquel le corps de Marion Blondeau emprunte sa forme étrange.
Le Alan Kurdî de Phia Ménard et Marion Blondeau, toutefois, n’est pas un enfant noyé : c’est un laissé-pour-compte qui se bat, envoyant bientôt valser les graviers de ces allées si «correctes» et fracassant à coups de hache le socle de cette statue «ridicule et charmante»
Les symboles, comme toujours chez Phia Ménard, oscillent entre subtilité et omniprésence assumée. L’article 13 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, qui donne au spectacle son titre, est celui qui stipule que «Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État» et que «Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.» Une «Déclaration» un rien décalée, au vu de l’actualité politique, nous dit le spectacle qui se conclut par un panneau sans ambiguïté : «Non à la loi immigration»
Mais les symboles, ce sont aussi ces sons de tronçonneuses qui marquent tout d’abord le travail des jardiniers avant de se faire si assourdissants qu’ils en deviennent menaçants : sont-ce des marques de la révolte qui s’approche ou au contraire du racisme et du nationalisme qui s’installent, créant artificiellement des frontières aussi bien découpées que les bosquets de Lenôtre ?
C’est enfin, et aussi, cette chorégraphie de Marion Blondeau qui lutte constamment pour sa propre survie, déployant tout d’abord son corps avec difficulté avant que celui-ci ne s’émancipe et ne fasse fi de toute contrainte. Phia Ménard nous propose là, comme elle sait le faire, un spectacle qui happe tous les sens de son public autant qu’une œuvre politique jamais guettée par le didactisme.
Art. 13, Compagnie Non Nova – Phia Ménard, du 23 au 28 janvier 2024, durée 1h10, MC 93.
Visuel : Christophe Raynaud de Lage