Dans le cadre du festival Les Singulier·es, programmé par le 104, le Théâtre 14 accueille Privé S.V.P., de Maud Lübeck, qui revient sur un amour adolescent. La comédienne Clotilde Hesme y incarne l’autrice-compositrice jeune.
De cet amour, Maud Lübeck avait déjà tiré un disque (1988, Chroniques d’un adieu, 2022) et un livre (Privé S.V.P., 2023). C’est à la réunion des deux qu’elle s’attelle en créant ce spectacle.
Tout commence alors que Maud, pré-adolescente, croise le chemin de Claude, jeune fille du voisinage, de quelques jours seulement sa cadette. La proximité de leur date de naissance et l’homophonie de leurs prénoms conduisent Maud à voir en cette amie un double, une sœur jumelle à laquelle elle serait indéfectiblement liée. Persuadée de la justesse de cette intuition, elle se met à voir, partout, des signes de cette gėmellité. Jusqu’à ce que, avant même leurs quinze ans, Claude meure tragiquement dans un accident de voiture.
Telle est l’histoire que Maud Lübeck met en scène. Si nombre d’ancien·nes adolescent·es peuvent se retrouver dans la fascination de Maud pour Claude, la mort prématurée de cette dernière fait de cet amour balbutiant une histoire hors normes, qui continue, plus de trente ans après, à hanter l’autrice-compositrice. Là est le rôle du livre et de l’album qu’elle y a consacrés : en finir avec ce fantôme.
La pièce présentée au Théâtre 14 est donc moins l’histoire d’amour que l’histoire de cette histoire. Pour nous en fournir le récit, l’actrice suit deux lignes parallèles : la première enquête sur le lien qui la reliait à Claude quand la seconde retrace le rôle du deuil amoureux dans la vocation artistique de Maud Lübeck.
Deuil amoureux, ou deuil amical ? Le récit, on l’aura compris, joue de l’ambiguïté des sentiments de la jeune Maud qui, au coeur des années 1980, n’imagine pas que, jeune femme, elle puisse aimer une autre jeune femme. Son désir de voir en Claude une jumelle plus qu’une amoureuse serait lié à l’invisibilité des amours homosexuelles.
Là n’est toutefois pas l’originalité du spectacle : l’homosexualité n’est ici pas un sujet, à peine une trame de fond à cette histoire de deuil et de sentiment exarcerbé. Il s’agit bien plutôt de remonter, grâce à un journal intime, dans les traces matérielles de cette destinée commune que la jeune fille consignait avec méticulosité. Le fond de scène est ainsi recouvert de la projection de « pièces à conviction » de cette élection, tandis que Clotilde Hesme déroule, secondée par Maud Lübeck elle-même, le texte de ces souvenirs. La complicité de la comédienne et de la compositrice, qui échangent régulièrement sourires et regards, participe de l’intimité de la pièce et de la transmission des émotions.
La musique, bien sûr, n’est pas en reste. Elle est toutefois relativement discrète au début, avant d’envahir régulièrement le plateau à partir de ce tournant qu’est la mort accidentelle de Claude. Christelle Lassort et Maëva Le Berre jouent alors à vue des extraits de l’album 1988, Chroniques d’un adieu. Les paroles relatent cet amour avec un vocabulaire simple et touchant, tandis que le violon de l’une et le violoncelle de l’autre donnent du volume aux accords. Ainsi, Privé S.V.P se distingue de la simple pièce de théâtre pour se faire, à l’instar de l’album qui se voulait inspiré des plus beaux requiem, hymne à la défunte. Une belle hymne, autour de laquelle la salle fait communion.
Privé S.V.P., du 04 au 15 février 2025, au Théâtre 14 dans le cadre du Festival Les Singulier·es.
Visuel : affiche du spectacle