À la Scala Avignon, Marie Torreton, mise en scène par Vincent Garanger, propose une adaptation sensible et vibrante des écrits de Charlotte Delbo.
Charlotte Delbo (1913-1985), assistante de Louis Jouvet, dont elle sténographiait les cours au Conservatoire, a été engagée dans la lutte clandestine contre les nazis avec son mari Georges Dudach. Tous deux furent arrêtés le 2 mars 1942 – ils avaient respectivement 28 et 29 ans – par des policiers français des brigades spéciales. Tandis que Dudach était fusillé au Mont-Valérien, le 23 mai 1942, Charlotte Delbo, d’abord emprisonnée à la prison de la Santé puis au Fort de Romainville, fut déportée au camp d’extermination nazi d’Auschwitz-Birkenau le 24 janvier 1943 dans un convoi de 230 femmes détenues politiques. Seules quarante-neuf d’entre elles sont revenues.
L’habile adaptation de Marie Torreton met en avant la sororité des femmes, leur entraide dans le camp. Elle donne à entendre les corps qui s’expriment dans des gestes solidaires qui traduisent les liens d’amitié. Sans ces gestes infimes de complicité, Charlotte Delbo ne serait pas revenue. Sont-elles des héroïnes ? Delbo ne fait pas une hagiographie de sa vie ni d’aucune de celles de ses camarades, le courage et la ténacité́ sont présents mais le doute, l’épuisement, l’idée de suicide aussi : elle ne montre pas les captives comme des combattantes idéales. C’est d’une résistance, à la fois humble et admirable, entre femmes, dont elle veut faire mémoire. Et les mots de Charlotte Delbo prennent corps, deviennent la mémoire charnelle d’une communauté́ féminine, où le « je » et le « nous» sont pris dans un mouvement d’oscillation. Ce « nous », la mise en scène tente de l’évoquer à travers des jeux d’ombre et de lumière qui mériteraient davantage d’être explorés. Au lointain, où la comédienne est dos au mur, se découpe une ombre – symbole des spectres qui l’accompagnent, les spectres-compagnes, celles qui ne sont pas revenues, mais aussi, sans doute, de la présence spectrale de l’autrice Charlotte Delbo.
Marie Torreton est une force de vie, portée tout entière par les mots de Delbo et tendue vers eux. Le timbre de la voix de la comédienne – qui a une couleur singulière, dansant vers les graves, une voix chaude et saisissante d’une femme de radio – permet à la poésie de Charlotte Delbo de résonner dans la salle intimiste de la Scala. Le plateau est nu, les mains de l’actrice, comme des signes silencieux, soutiennent les paroles. Et puis, il faut le souligner aussi, la particularité de cette représentation est le ventre rond de la comédienne qui porte la vie et donne à ce seule en scène une teinte extra-ordinaire où vie, mort, tendresse, horreur, et vie de nouveau se rejoignent dans un même mouvement. Vibrant et puissant.