« Le musée recopié », la fête de clôture du centre Pompidou par Simon Gauchet

Un dialogue tout à fait nouveau avec l’œuvre originale.

En interview, Simon Gauchet nous raconte les origines de ce projet un peu fou : «J’étais au Centre Pompidou et je voyais un jeune homme, un jeune étudiant sans doute, qui recopiait une œuvre et je voyais surtout que les visiteurs du musée étaient presque plus intéressés par l’œuvre en train d’être recopiée que par l’original, ou du moins que ça recréait un dialogue tout à fait nouveau avec l’œuvre originale. Et de là est née cette idée de se dire, mais qu’est-ce que ça donnerait d’inviter un groupe hétéroclite de copistes amateurs à recopier l’intégralité d’un musée en une ou plusieurs journées selon la taille du musée ? Qu’est-ce que ça donnerait à la fois pour les copistes qui passeraient du coup plusieurs heures devant une œuvre, alors que je crois que quand on visite un musée, on s’arrête à peu près neuf secondes devant une œuvre ? Mais qu’est-ce que ça donnerait aussi pour les visiteurs et les visiteuses du musée de voir sous leurs yeux le musée être entièrement recréé ? Et de là est née cette idée du Musée recopié, qui est une invitation à plusieurs centaines de copistes amateurs à recopier l’intégralité d’un musée pour le faire voyager ensuite.»

Une apothéose

« C’est une sorte d’apothéose ! » lâche Marion, une habituée du musée Pompidou et membre des Urban Sketchers, un groupe de dessinateurs amateurs et professionnels, « c’est comme si on m’offrait un cadeau auquel je ne m’attendais pas ». Près d’elle, Isabelle met la dernière touche à sa copie du majestueux tableau « La Datcha ou Louis Althusser hésitant à entrer dans la datcha Tristes ». « Ce tableau n’était pas pris donc je l’ai choisi ! J’aime essayer des choses difficiles, hors de ma zone de confort ».

Isabelle est là, comme ses amies, depuis 9h ce matin et la fin de journée approche, elle veut absolument terminer. Et elle a déjà trois autres copies à son actif : « les crayons de couleurs, c’est chaud ! » lâche-t-elle, « avec l’aquarelle, on balance la couleur et roule ma poule ! ». Pour cette performance, le matériel est imposé, et les crayons de couleurs ne sont apparemment pas si simples d’utilisation pour ce type d’exercice « sur le vif ».

Un instant unique

Un peu plus loin, Claude, 77 ans, est assis sur un banc, son carton sur les genoux, il met la dernière touche à sa version de l’atelier d’André Breton, un joyeux bric-à-brac avec des centaines d’objets à sa disposition. Mais Claude en a décidé autrement, il dessine les visiteurs qui se pressent devant la reproduction de ce lieu emblématique du maître du surréalisme. « Le plus difficile est de trouver le bon angle », confesse-t-il, « mais j’aime être dans cette ambiance et les visiteurs sont très curieux, surtout les jeunes qui me posent plein de questions et prennent même des photos de mon travail, c’est un instant unique que nous vivons ».

Ici, tous les âges sont réunis. Dans la salle suivante, des enfants s’amusent à reproduire des carrés, dans une ambiance très studieuse. Les copistes sont disséminés un peu partout dans le musée, et souvent ils sont plusieurs à user leurs crayons sur un même tableau. « La Blouse roumaine » de Matisse, qui représente une femme au regard doux, attire trois d’entre eux, que rien ne pourrait perturber.

Célébrer la beauté

Laetitia-May s’éclipse déjà, sa copie sous le bras. Cette sculptrice a déjà participé au Musée recopié à Rennes : « C’est un retour aux sources pour moi. À l’époque des Beaux-Arts, nous n’avions pas les portables et on allait dans les musées pour copier des détails de tableaux. D’ailleurs, les visiteurs nous le disent quand ils regardent nos copies, ils voient des détails qu’ils n’avaient pas vus en regardant l’œuvre ». La jeune femme revendique aussi une démarche militante : « C’est ma façon de manifester pour l’art alors que la plupart de nos subventions sont supprimées ».

Au 4ᵉ étage, Pascale accroche son dessin dans la salle qui regroupe l’ensemble des œuvres de ces artistes d’un jour. Le lieu a hérité d’un nom : le Musée imaginaire. Les visiteurs peuvent y disposer les copies comme bon leur semble, les déplacer, les toucher, tout ce qu’ils ne peuvent pas faire d’ordinaire dans un musée. Après cette journée, Pascale, elle, est « épuisée mais heureuse ! ». « J’adore cette émulation et ce partage. » Elle avoue pourtant être un peu triste car « le musée va fermer pendant cinq ans. On nous enlève une partie de nous-mêmes… C’est pour ça qu’il était important de venir aujourd’hui… pour célébrer cette fermeture par la beauté ».