La monstruosité décortiquée de Xavier Le Roy aux Inaccoutumés

« Si vous avez des questions, attendez la fin de la performance »

Il nous reçoit assis en tailleur dans la salle Wigman. Les chaises sont placées en amas nébuleux, un peu partout, enchevêtrées. On s’assoit où l’on peut, sur l’espace resté vide des gradins, ou par terre. Sur l’écran placé derrière lui, on voit, telle une première mise en abyme ou palimpseste au choix, cette même salle, mais rangée en format salle de conférence. Le principe de cette performance est faussement simple : Xavier Le Roy lit son texte qui défile sur cet écran. Peut-être faut-il vous dire qui est Xavier Le Roy. Ce docteur en biologie moléculaire danse et écrit de la danse depuis 1991. Ses pièces ont joué partout, au festival d’Avignon, en résidence au Théâtre de la Cité Internationale, au Centre Pompidou… Ses œuvres mélangent le discours et le geste, plutôt comme des images en transformation, et souvent, c’est très pince-sans-rire. Monstres de circonstances  est tout cela à la fois.

« Rien sur nous sans nous »

En lisant son texte, il partage des questions centrales sur notre époque. On ne sait pas si c’est vrai ou faux, mais il nous raconte qu’il aurait dû participer à un symposium sur « la mise en scène des corps et d’ordres monstrueux », mais que tout ne s’est pas passé comme prévu, car des intervenant.e.s, ne pouvant pas être présent.e.s, ont refusé que l’on parle d’eux et elles en leur absence. La question est posée : qui peut me représenter ? De quoi ai-je peur si on parle à ma place ? Est-ce que le monstre est celui qui parle à ma place ? De ce point de départ, les mots avancent vers une réflexion plus précise et plus intime sur l’idée de peur des monstres. Il nous installe dans l’absurde, dans les communications qui ne veulent rien dire et où une idée en balaie une autre. Les monstres gouvernent le monde, il y a de quoi flipper.

« Une créature qui combine l’impossible et l’interdit »

À force de parler, la danse arrive. La conférence en reste une, mais son angle a changé, elle devient une intervention sur la figure du monstre dans les chorégraphies de Xavier Le Roy. Maître de précision et d’image, il sait faire. On se souvient de son Sacre en 2007 qui était sans danse et sans musiciens. Avec  Giszelle , il refaisait une histoire très personnelle de la danse, son  Untitled  travaillait déjà la peur. Le Roy ne cesse d’interroger et d’explorer la discipline pour y apporter le sens que l’abstraction fut en réaction au figuratif dans la peinture. Au fur et à mesure, il réactive des extraits des pièces où il s’est montré monstrueux : visage entré dans les épaules, doigts écartés à l’extrême, genoux qui se tordent, dos qui avale le reste du corps pour Produits d’autres circonstances  en 2015, ou bien le superbe  Self Unfinished  où, pied dans la main, le corps devient deux cercles qui s’entrelacent et se séparent. Il nous amuse en délire robotique et en personnification (on notera un loup et un poulet). La précision de la construction de ses figures est un témoignage de sa virtuosité et de son travail.

Monstres de circonstances  décortique l’époque avec un calme presque méditatif. Le geste est lent, la parole est douce, le fond est super violent. Si les monstres sont les stars du XXIe siècle, la danse de Xavier Le Roy, elle, traverse les époques dans une perpétuelle acuité très moderne.