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La soprano Aušrinė Stundytė : « Je ne peux pas jouer un rôle que je ne ressens pas »

par Hannah Starman
29.11.2024

Nous avons rencontré la soprano lituanienne Aušrinė Stundytė dans sa loge à la Philharmonie de Paris la veille de l’unique représentation du Château de Barbe-Bleue, le 29 novembre. Interprète intense, réputée pour ses performances mémorables des rôles exigeants, Aušrinė Stundytė parle des femmes qu’elle incarne, de la folie qui les anime et de l’histoire qui nous bouscule.

Vous venez de répéter Le château de Barbe-Bleue de Bartók à la Philharmonie de Paris. Parlez-moi de Judith.

 

J’ai chanté dans plusieurs productions du Château de Barbe-Bleue et à chaque fois, Judith était un peu différente. Comme toute femme amoureuse, elle souffre du complexe du sauveur : elle veut sauver l’homme qu’elle aime et elle veut le connaître à tout prix. Nous avons tous un côté sombre et votre partenaire ne peut pas tout affronter. Ce que Judith apprend sur Barbe-Bleue la tue. Elle est incapable de faire face à tant de choses qu’elle ne peut supporter. Si elle avait renoncé à creuser aussi profondément dans tous les recoins, si elle avait accepté une certaine ignorance, elle pourrait vivre une relation parfaite. Son désir de tout savoir sur son amoureux détruit tout : elle, lui et la relation.

 

Y a-t-il une morale à cette histoire ?

 

Fais attention à ce que tu souhaites. Ne mords pas plus que tu ne peux mâcher.

 

Vous avez chanté Judith (Le Château de Barbe-Bleue), Renate (L’Ange de feu), Salomé, Katerina Ismaïlova (Lady Macbeth de Mtsensk) et d’autres personnages féminins forts. Quels sont leurs points communs ?

 

Elles sont toutes possédées d’une certaine folie et l’expriment sans filtre. Elles n’essaient pas de s’adapter ou de faire des compromis. Au contraire. Elles vont trop loin dans leurs désirs… comme des enfants qui font des crises de colère. Elles ne s’interdisent rien et prennent ce qu’elles veulent, qu’importe le prix. C’est excessif. C’est aussi très slave. Je prépare le rôle de Paulina dans Le Joueur, alors je lis le roman de Dostoïevski pour mieux comprendre mon personnage. Et c’est encore la même chose. Ces gens ne peuvent pas être heureux. Si votre vie est comblée et harmonieuse, c’est que quelque chose cloche chez vous. Comme si vous ne viviez pas vraiment.

 

Quel rôle aimez-vous particulièrement incarner ?

 

Katerina Ismaïlova ! C’est ma préférée. Katerina est un personnage haut en couleur et elle fait des folies que nous aimerions tous faire, mais cela nous est impossible. J’ai le privilège de jouer avec ces idées, ces sentiments, ces délires et ces pensées, et on me paie même un cachet pour le faire ! Rassurez-vous, je ne meurs pas d’envie de tuer mes proches, mais Katerina ne voulait pas faire ça non plus. Elle aimait tellement Sergey que son désir de vivre avec lui ne lui laissait pas d’autre choix. Lady Macbeth de Mtsensk est un opéra parfait. Rien dans cet opéra n’est fait uniquement pour la musique et la cantilène. Tout est écrit au service du drame. Rien ne surpasse Lady Macbeth de Mtsensk en tant que pièce d’opéra théâtrale.

 

Staline ne serait pas d’accord avec vous.

 

Staline a apprécié les deux premiers actes, il est parti le troisième acte qui ridiculisait les policiers. Chostakovitch espérait probablement qu’il ne s’en rendrait pas compte. C’est tellement dommage que cet incident ait empêché Chostakovitch d’écrire sa trilogie d’opéras consacrée aux femmes russes. Imaginez tous ces personnages féminins étonnants dont il nous a privés, ce trou du cul de Staline !

 

Comment préparez-vous un rôle ?

 

Tout d’abord, j’essaie de mémoriser les notes. Quand les répétitions sur scène commencent, la partie musicale est ainsi en grande partie prête et je n’ai plus besoin d’y penser. Ensuite, pendant les premières semaines de répétition, je laisse complètement de côté le chant et la technique et je me concentre uniquement sur le jeu d’acteur. En tant que chanteur, il faut être très connecté à son corps et attentif aux moindres signaux. Une simple pensée peut modifier le son de votre voix et personne ne sait vraiment comment elle fonctionne. C’est pourquoi je préfère bouger, agir et essayer de ne pas trop écouter mon corps. Dans mon cas, le sur-contrôle n’apporte pas forcément grand-chose. Je reste immergée dans le jeu jusqu’à une ou deux semaines avant la représentation et ce n’est qu’à ce moment-là que j’associe les deux.

 

Vous prétendez être une personne normale et vivre une vie normale. À la campagne belge, pour ne rien gâcher. Qu’est-ce qui vous permet d’exprimer les émotions excessives que ces rôles exigent de vous ?

 

Ma jeunesse a été très intense, très émotionnelle, très autodestructrice et destructrice pour mon entourage. Je choisissais des hommes qui ne me convenaient pas du tout et je les punissais sans vraiment le vouloir. C’était un schéma autodestructeur et destructeur à la fois. Je m’en inspire, je fouille dans ma mémoire pour retrouver les sentiments, les sensations. Je ne peux pas jouer un rôle que je ne comprends pas ou que je ne ressens pas. Je ne suis pas le genre d’actrice qui peut devenir quelqu’un de complètement différent. J’aime jouer, mais je ne peux pas inventer quelque chose qui n’est pas en moi.

 

 

Vous arrive-t-il de chanter des rôles qui vous laissent complètement indifférente ?

 

Hélas, oui. Senta, Elsa, et tous les sopranos ennuyeux de Wagner. Je ne les comprends pas. Elles me désespèrent. Je pense que Wagner avait cette idée bizarre d’une femme idéale qui n’existe pas. C’est du grand n’importe quoi ! Le seul morceau de Wagner que j’aimerais chanter, mais que je ne chanterai certainement jamais, est la scène d’immolation de Brünnhilde dans le Crépuscule des dieux.

 

Vous êtes née à Vilnius en 1976 et avez donc vécu l’effondrement de l’Union soviétique. Quels en sont vos souvenirs ?

 

C’était inoubliable. Je suis heureuse de l’avoir vécu. Adolescente, j’étais une adepte inconditionnelle de l’idéologie communiste. J’étais impatiente de rejoindre le parti, d’être torturée et de mourir pour la cause. À l’époque, ma professeure préférée enseignait l’histoire. Même en Union soviétique, elle nous encourageait à réfléchir, et pas seulement à apprendre des faits. Un jour, elle a annoncé : « Les enfants, tout ce que nous avons appris était faux. Nous allons maintenant apprendre une histoire différente. » Je ne savais même pas qu’une Lituanie indépendante avait existé avant l’occupation soviétique en 1940.

 

Je me souviens aussi qu’un jour, à l’école, j’ai trouvé un drapeau jaune-vert-rouge. Je ne savais pas ce que c’était. Je l’ai ramené à la maison et en le voyant, mes parents étaient affolés. Ils m’ont demandé de n’en parler à personne. Ils ne m’ont pas expliqué que c’était le drapeau lituanien. Une académie militaire se trouvait près de notre école et, après les manifestations pacifiques, les panzers sont arrivés. Et les soldats russes. Je ne me suis jamais beaucoup intéressée à l’actualité et mes parents nous en ont protégées, ma sœur et moi, mais parfois la vie vous envahit et il y a des images qui s’impriment dans votre cerveau pour toujours.

 

Vous avez été admise dans la meilleure chorale de Lituanie parce que votre père avait accès à des saucisses. C’est le meilleur retour sur investissement dans le monde de l’opéra !

 

Mais pas n’importe quelles saucisses ! Après avoir lu l’interview où je racontais cette histoire, ma mère m’a dit que ce n’était pas vrai, mais c’est ainsi que je m’en souviens. Mon père travaillait dans une usine de viande et, en plus de la viande normale, ils produisaient des saucisses spéciales pour la nomenklatura. Je n’ai plus jamais mangé de saucisses aussi savoureuses. Et elles ont certainement ouvert beaucoup de portes.

 

La mère d’Asmik Grigorian, Irena Milkevičiūtė, était votre professeur. Comment êtes-vous devenue son élève ?

 

J’ai aimé le chœur, mais j’avais une voix d’alto alors que je voulais chanter les premiers rôles, évidemment tous écrits pour les sopranos. J’allais dans les bois et je criais aussi haut que possible pour devenir soprano. Ce n’était probablement qu’une coïncidence et ma voix s’est brisée naturellement à la puberté. Mais une fois que j’ai eu la voix de soprano, il fallait encore découvrir l’opéra. La pop, le rock ou le punk n’étaient pas pour moi. J’étais ronde et solitaire, et il fallait être cool pour faire partie d’un groupe. J’ai découvert l’opéra en écoutant des cassettes de Maria Callas. J’en étais bouleversée.  J’ai immédiatement compris que je voulais chanter de l’opéra.

 

Ensuite, je suis allée voir Norma de Bellini. Irena Milkevičiūtė chantait Norma. C’était une chanteuse extraordinaire et si elle n’était pas confinée à l’Union soviétique, elle aurait fait une fabuleuse carrière. Comme Callas, Milkevičiūtė m’a frappé en plein cœur. Je voulais qu’elle soit ma professeure. J’avais 17 ans et j’ai réussi mon audition au conservatoire. Dès que j’ai appris la nouvelle, j’ai retrouvé Milkevičiūtė et l’ai suppliée de m’accepter comme élève. J’ai étudié avec elle pendant six ans. Elle était comme une mère pour moi, très généreuse de son temps. Elle m’a appris bien plus que la technique du chant ; elle m’a fait comprendre à quoi ressemblait la vie d’une chanteuse professionnelle.

 

Votre répertoire est très ancré dans le XXe siècle. Qu’est-ce qui vous attire dans cette période ?

 

Les années de l’entre-deux-guerres ont été extraordinaires. C’était une époque intense, créative et expressive. Les gens étaient curieux, ils s’intéressaient à la psychologie, à la recherche freudienne. Les opéras de cette période en sont le reflet, y compris le Château de Barbe-Bleue. Les personnages sont complexes, insondables et intéressants.

 

Les tensions de l’époque avant la Seconde Guerre mondiale nous sont familières.

 

Malheureusement, oui.

 

Vous parlez russe, vous chantez un répertoire russe et votre famille vit en Lituanie. La situation politique a-t-elle eu un impact sur vous ?

 

J’appartiens à l’une des dernières générations de Lituaniens qui ont appris le russe à l’école. J’en suis ravie, car à l’université, mes amis qui avaient un an ou deux de moins que moi ne pouvaient plus lire de livres en russe. Je sais que ce n’est pas très bien vu de le revendiquer aujourd’hui, mais j’ai rencontré de merveilleux intellectuels russes. Beaucoup de mes amis sont Russes. La situation politique est effrayante et la peur des Russes est profonde en Lituanie. Mais nous ne pouvons pas généraliser et considérer quelqu’un comme persona non grata juste parce qu’il a un passeport russe. En Lituanie, on ne joue pas de musique russe et on nous reproche d’interpréter des œuvres des compositeurs russes. Asmik Grigorian a été sévèrement critiquée parce qu’elle avait enregistré un CD de Rachmaninov. Mais quel est le rapport entre Rachmaninov et Poutine ? Ou entre la littérature russe et la guerre en Ukraine ? Aucun !

Visuels : Portait © Dominik Odenkirchen, Lady Macbeth de Mtsensk © Dougados Magali