Mothers A Song for Wartime est un chœur à la façon antique. Un chœur antique qui dénonce. Un chœur composé de vingt-et-une femmes et une petite fille. Elles sont ukrainiennes, biélorusses et polonaises, unies dans une même colère qui ne dit qu’une chose : Mon Europe, Mon Europe, pourquoi nous as-tu abandonnées ?
Le décor se compose d’un plateau en pente, comme une piste d’atterrissage. Les murs de la Cour (décidément bien mis en valeur pendant ce festival) sont parsemés des phrases comme celle-ci : « Aujourd’hui, nous n’avons besoin que de mots qui sauvent des vies. » Depuis le 24 février 2022, l’offensive Russe est sans relâche sur l’Ukraine, et au fur et à mesure des mois qui sont passés, l’attention de l’ouest de l’Europe sur ce conflit s’est éteinte. Elles nous ordonnent de ne pas zapper, de ne pas être aveugle.
Ce que nous voyons est une chorale, merveilleusement dirigée au cœur du public par Marta Górnicka. Sa direction est du mouvement, elle tisse une ligne droite en elle et elles. Tout commence presque joli, avec un chant puissant, issu de la Chtchedryka, un chant de Noël qui annonce une bonne et généreuse année à la famille. Puis le chant se mue en cri collectif. Ensemble, toutes ensemble, elles scandent la guerre. Ensemble, toutes ensemble, elles dénoncent comment le viol est une arme de guerre massivement utilisée par les Russes sur le terrain. Elles sont toutes victimes de viol ou témoins de viol. Même cette petite fille si puissante sur laquelle on tatoue un numéro de téléphone et une date. Au cas où, au cas où quoi ?
Une nouvelle fois dans cette édition, le festival donne la parole aux femmes à qui la parole est coupée. Comme dans Hécube, pas Hécube où Nadia se voit dire « ça, va, nous aussi, on a nos problèmes », la reine Jeanne de Castille muselée 46 ans ou Marion dans Lacrima dont la belle-mère nie que son mari est violent, ces femmes-là, qui ne sont pas des comédiennes, qui ne jouent pas la tragédie, doivent, elles aussi, passer par la scène pour se faire voir et entendre. Elles nous scotchent au siège et nous obligent à les écouter et à leur dire pardon. Il serait inadéquat de les cantonner aux kouroi antiques. Elles sont d’aujourd’hui et de maintenant, en tee-shirt, en jean, en short, en legging. Elles sont totalement européennes. Tiago Rodrigues continue son travail de réparation sur la visibilité des femmes. Marta Górnicka est la quatrième metteuse en scène à entrer dans la Cour et la deuxième cette année.
Katerina Aleinikova, Svitlana Berestovska, Sasha Cherkas, Palina Dabravolskaja, Katarzyna Jaźnicka, Volha Kalakoltsava, Ewa Konstanciak, Liza Kozlova, Anastasiia Kulinich, Natalia Mazur, Kamila Michalska, Hanna Mykhailova, Valeriia Obodianska, Svitlana Onischak, Yuliia Ridna, Maria Robaszkiewicz, Polina Shkliar, Aleksandra Sroka, Mariia Tabachuk, Kateryna Taran, Bohdana Zazhytska, Elena Zui-Voitekhovskaya disent avec violence et pudeur ce qu’elles ont vu, ce qu’elles ont subi. Elles disent aussi leur rêve de paix, l’enfer de vivre en guerre à 2 152,21 km de Paris. Indéniablement, Mothers A Song for Wartime est une arme de guerre massive pour réveiller nos consciences qui étaient focalisées sur nous-même ces derniers temps.
Plus qu’un spectacle, Mothers est un acte, un acte fort. Un grand geste qui finit dans une communion totale où l’amour est un sentiment qui reste légitime.
Visuel : © Christophe Raynaud de Lage
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