Le December Dance Festival souhaite être au premier plan de ce qui se passe dans le domaine de la danse contemporaine, tant au niveau national qu’international. Si en 2023, la première édition de Sidgrid Janssens, nouvelle coordinatrice, était consacrée aux artistes qui offrent une forme de résistance positive à travers leur œuvre ou aux audacieux qui font bouger les lignes, celle de 2024 porta une attention explicite à la diversité et à l’inclusion. Tant en termes d’ethnicité, d’origine culturelle, de genre etc, mais aussi à travers d’autres styles et domaines qui infiltrent la danse contemporaine. Un festival en total lien avec les formes d’art contemporaines.
Si l’on mesurait l’importance d’un festival à ses prestigieux spectateurs, la venue incognito de la chanteuse PJ Harvey pour le spectacle de Damien Jalet classerait cette 17e édition de December Dance en très bonne position. Mais ici, c’est la performance et non le paraître qui compte. Ce festival est une réussite et gagne à être davantage connu en raison de la judicieuse programmation de Sigrid Janssens et de ses partenaires institutionnels. Elle impulse un souffle nouveau au festival, entre exigence et spectacles tout public.
Dans la plus grande ville de la province de Flandre-Occidentale, le festival pourrait passer inaperçu en cette période très dense de l’année où déferlent des hordes de touristes en quête des fameuses, et il est vrai, sublimes illuminations de noël et à une semaine de l’évènement caritatif qui monopolise déjà toute la ville : De Warmste Week. Or le nombre de spectateurs a dépassé cette année celui avant Covid et comptabilisé 14 % d’entrées de plus qu’en 2024. Il a aussi attiré un public plus international bien que principalement venus de France et des Pays-Bas. Mais surtout rajeunit en rapport des précédentes éditions, avec 20 % de spectateurs de moins de 30 ans. Ce qui représente la part la plus élevée jamais enregistrée pour ce festival. Et il faut souligner en ces temps de désertion du public un super challenge : 33 % des visiteurs étaient nouveaux. Ce qui démontre que l’exigence n’est pas excluante lorsqu’elle se combine judicieusement. N’écartant ainsi aucun public, se côtoient dans les salles du December Dance les crinières blanches des habitués, des jeunes venus voir le chorégraphe (Damien Jalet) qui a fait danser Madonna lors de sa tournée « Madame X », des bruxellois en quête des premières Belges de leurs artistes favoris, des professionnels. Et des spectateurs curieux qui font confiance au festival. « Je n’ai pas compris mais j’ai ressenti beaucoup d’émotions …Qu’elle beauté ! Je n’aurai jamais imaginé assister à cela… J’ai fait une découverte, j’ai envie de voir d’autres choses de ce chorégraphe… ». Ces phrases entendues en sortie de salles, au café du Concertgebouw ou au superbe foyer ultra retro du Théâtre Royal de la Ville (Cultuurcentrum Brugge) ont tout pour rassurer les organisateurs. Ces lieux, le temps d’une soirée deviennent lieu de partage, faisant regretter que l’un d’eux ne reste pas lieu pérenne, désigné QG du festival où public et artistes pourraient se rencontrer pour échanger et où des after show festifs attireraient encore plus de jeunes. D’autres dispositifs existent déjà comme les préparations d’avant show mené par des spécialistes de la danse pour Voice Noise. Des mini conférences qui amènent un éclairage sur la proposition artistique à voir.
En 2002, Bruges a été la Capitale Européenne de la Culture et a vu la construction d’un monument architectural et technique le Concertgebouw. Les gantois Paul Robbrecht et Hilde Daem ont pensé une esthétique au service de la technique. Si ses façades sont recouvertes de 68 000 carreaux de terre cuite rouge rappelant la couleur des toits médiévaux de Bruges, le plâtre des murs a été sélectionné pour ses excellentes qualités acoustiques et les sièges conçus pour refléter les ondes sonores de la manière la plus optimale. La sobriété de l’intérieur est étonnante pour un temple de la musique. Un bâtiment extraordinaire, inspirant, où Marco da Silva Ferreira et João Pais Filipe avec leur Terra Cobre ont transformé la petite salle de musique en lieu magique où retentissait toute sorte de cloches en résonnance de coutumes ancestrales portugaises. Ils ont imposé le cowbell art traditionnel de la région portugaise de l’Alentejo au rang de musique ancienne dans une théâtralité performative baroque.
Pour les non Brugeois, les changements de lieux de présentation des différents shows permettaient aux spectateurs de parcourir la ville et les multiples facettes de sa proposition culturelle. Il fut même possible de semer les touristes en rejoignant la salle-box du MaZ – Magdalenazaal en longeant les canaux de quartiers charmants et vivants de Bruges pour aller assister au premier spectacle jeune public de Lisbeth Gruwez & Maarten van Cauwenberghe : WASCO! (Hetpaleis & Voetvolk). Cette clôture a rassemblé un public familial aussi jeune qu’enthousiaste qui a célébré joyeusement ce désir fougueux de liberté que la chorégraphe et le musicien voulaient communiquer. Un show en adéquation
parfaite avec les objectifs de programmation de cette petite salle du Cultuurcentrum Brugge : « Parce que ça bouge, Parce que le public, les artistes et les collaborateurs sont les bienvenus et se rencontrent, Parce que la collaboration est dans notre ADN – au niveau local, régional et (inter)national ». Et on peut dire que WASCO ! ça déménage ! Une musique Jazz pas facile que de très jeunes danseurs s’approprient au milieu de jets de couleur. A l’opposé, situé en plein centre historique, la salle principale du Cultuurcentrum Brugge : Le Théâtre Royal de la Ville, est un splendide théâtre à l’italienne choyé par son directeur Filip Strobbe. Après la première très bien accueillie de What We Can Do Together MonkeyMind Company & Unmute Dance Company, parfait écrin intimiste pour cette pièce ultra-sensible (vu en rattrapage au KVS), le théâtre a, en ce dernier week- end de festival, apporté une plus-value esthétique à un spectacle qui se cherche encore : GLITCH WITCH de Meg Stuart (Damaged Goods et Dance On Ensemble). Les boules à facettes se reflétant dans les dorures des balcons, le passé des lieux ajoutant une beauté mystérieuse à certains tableaux et des échos à cette création intergénérationnelle. La chorégraphe Meg Stuart, la danseuse Omagbitse Omagbemi et la compositrice/musicienne Mieko Suzuki cherchaient un terrain d’entente dans un monde lunaire où spiritualité et kitsch avaient du mal à cohabiter dans une dramaturgie quelque peu floue. Le public a été touché par ce voyage chamanique tout autant que voyage du corps dans l’âge, révélateur des passages, des rencontres, des matières dont il se modéle au fil du temps. Des avis divisés qui ont donné lieu à de passionnantes discussions, mettant en présence, sur ce sujet identique d’un futur apocalyptique, les adaptes de la technicité des danseurs et la technologie spectaculaire du spectacle Planet de Damien Jalet et ceux partisans d’une recherche , de la danse brute et obscure de GLITCH WITCH. Une radicalité présente également dans la proposition BRUT de la chorégraphe Kinga Jaczewska dans la salle de théâtre Biekorf, une autre salle du Cultuurcentrum Brugge, mais programmé par KAAP et sa directrice Merel Vercoutere. Des trajectoires, des face-à-face, des visages inexpressifs, aucun contact physique, juste des regards, des approches en attractions, répulsions, une musique présente et des pauses comme pour mieux faire la mise au point.
Quant à Fampitaha, Fampita, Fampitàna de Soa Ratsifandrihana précédemment vu au Festival d’Automne, il nous a laissé quelque peu perplexe, empêtré dans une façon un peu trop simpliste de marquer la richesse des différences, qui desservait totalement son propos.
Un spectacle qui a, lui aussi, suscité beaucoup d’intérêt et de débats. Ceci renforce le fait que les prises de risque dans ses accompagnements, ses co-productions, son choix de programmation du December Dance sont porteuses. Et qu’elles permettent aux artistes de chercher encore en toute liberté, loin du dictat qu’impose, de plus en plus, de programmateurs : celui de plaire avant tout à son public. Cela implique de présenter des choses encore fragiles et en même temps d’être les premiers à présenter des perles. Comme le dit sa coordinatrice Sigrid Janssens « Le December Dance 2024 a placé Bruges sur la carte en tant que ville de la danse et mis l’accent sur la création, la rencontre et la découverte ! ».