Le chorégraphe Aurélien Bory fait danser, chanter et jouer sa Compagnie 111 autour d’une version tissée de la fresque murale anonyme Le Triomphe de la mort qui date du XVème siècle et que l’on peut voir à Palerme. La mort, la maladie et l’exil sont au menu d’un spectacle où de magnifiques tableaux ont du mal à trouver le canevas d’un sens plus profond.
Tout commence avec un grand cadre au sol et sur le côté de la scène un saxophoniste palermitain Gianni Gebbia et un petit instrument de percussions à dents qui rythmera la danse macabre.
Très vite, la magie visuelle opère dans de très belles scènes : celle où le cadre se redresse pour devenir une version « toile » de la fresque mythique de Palerme. Le chanteur et comédien Chris Obehi caresse la toile et laisse place à un quatuor de danseuses aux cheveux interminables habillées en noir ou en blanc qui miment le groupe de femmes du côté droite de la toile. Tel un tapis magique, la surface qui représente la danse macabre s’illumine et laisse apparaître et disparaître les corps des danseuses, elle se soulève pour leur faire place ou les porter. Elle s’illumine aussi, commentée par l’une des danseuses qui parle au nom de chacun des personnages de ce tourbillon de condamnés pour leur redonner vie. Chien, cadavre de cheval et perruches compris!
Fasciné par la mort et le destin, Aurélien Bory parvient à rendre la tapisserie magique. Il demande à ses danseurs, à la musique de Arvo Pärt, Bach mais aussi Leonard Cohen de lui permettre de livrer ses secrets. Les gestes ont précis, jusqu’à la citation de Pina Bausch quand tout le monde pense à Palermo Palermo. Néanmoins, on a du mal à trouver du lien, du fil, de la couture entre les scènes qui s’étirent. Le moment hystérique avec les chaises de Pina (ou de Fantasia) qui tremblent est un poil exagéré. Et surtout, tout est si symbolique quand le canoë de sauvetage apparaît, on a du mal réconcilier la Palerme moyenâgeuse avec la danse macabre de la tranquillité versée de l’océan. La toile tombe sur la barque, Chris Obéîtes s’empare de la caméra pour que son visage lévinassien remplace la fresque aux nombreux personnages et Gianni Gebbia a beau brancher la canot à son orgue, le final en voiles noirs vaporeux et en clapotis blafards est beaucoup trop abstrait pour traiter, en fin de parcours, la question de ces invisibles-là.
Ainsi, malgré la beauté éclatante de certaines images, il manque à ces invisibles dont le spectacle veut nous parler, un peu de matérialité et des couches de profondeur pour pleinement nous convaincre.
(c) Rosellina Garbo