En ouverture de la nouvelle édition des Inaccoutumés, le performeur circassien et musicien Tsirihaka Harrivel transforme la salle mythique de la Ménagerie de Verre en un stand de tir aux accents mélancoliques.
On a souvent écrit qu’on avait tout vu dans cette salle. Créée en 1983 par Marie-Thérèse Allier, elle-même disparue en 2022, cette ancienne imprimerie a gardé des volumes atypiques : un studio de danse bas de plafond, tout blanc. On y a vu des soirées mousse, des plantes, des gradins retournés, mais jamais—jamais !—une séquence de tir à l’arc.
Le public, installé en face-à-face, encadre la scène. Derrière les chaises, d’autres spectateurs restent debout. Au fond de la salle : une cible. En face : Caroline Ducrest, archère, prête à tirer. Son arc immense, digne des compétitions olympiques, semble peser une tonne. Pour armer la flèche, elle plie son corps, descend, se relève, tend le bras. Il faut tenir la flèche, ne pas la lâcher trop tôt, viser juste. Tirer. La flèche fuse. 250 km/h en un quart de seconde. Elle siffle, trouble l’espace, traverse l’air. Frisson garanti.
Bien sûr, le spectacle ne se résume pas à cette démonstration de précision. Le travail de Tsirihaka Harrivel joue toujours sur un fil, entre le risque et l’esthétisme. Lui-même a failli mourir sur scène en 2017 lors du spectacle Grande. Depuis, sa démarche est empreinte de sensibilité. Cruel Trop Tard est la première étape d’un projet plus vaste, Tela Missilla Arma, prévu pour l’an prochain après une résidence à la Villa Kujoyama en 2024.
Du côté du fil narratif, nous sommes dans la tête d’une jeune femme, peut-être seule, qui erre dans sa chambre et se demande ce qu’elle va faire de sa vie. C’est mélancolique. Ici, les flèches sont ce qui nous traverse sans nous tuer, ce qui file à toute vitesse, à peine perceptible, pourtant transformateur.
Aux côtés de l’archère, Charlotte Le Hir danse. Une danse hachée, comme suspendue sur ses genoux, proche du travail de Vimala Pons, cette performeuse qui porte des objets surdimensionnés sur elle, qui s’augmente de volumes extrêmes. Ici aussi, cette logique se retrouve : des ballons se gonflent comme autant d’obstacles à transpercer.
D’abord, la peur. Le public est figé, protégé par la distance, les câbles, la mise en scène. Puis, lentement, la confiance s’installe. On sait que l’archère vise juste. Qu’à force de tirs, elle finira par atteindre un cœur, non pour le briser, mais pour le rendre entier.
Cruel Trop Tard de Tsirihaka Harrivel à La Ménagerie de Verre pour le festival Les Inaccoutumés 2025 :
Le 6 et le 7 mars 2025 à 20h
Le 8 mars à 18h
Visuel : ©Tsirihaka Harrivel