Dans le cadre du cycle Amour(s) co-construit en décembre à la Maison des Métallos, le metteur en scène Johanny Bert s’empare avec brio des thèmes du sentiment amoureux et des sexualités. Nous y avons vu La (nouvelle) ronde : son jouissif spectacle de marionnettes « pour adultes » qui dépoussière la version d’Arthur Schnitzler et remet au centre les questions de genre, d’identité et de liberté.
Par Maud Serpin.
Il n’est pas commun de voir deux marionnettes hommes se rapprocher à une heure tardive dans un open space aseptisé, et passer d’une discussion autour des cryptomonnaies à une fellation onirique. Inédite, aussi, cette scène dans un club échangiste où, adossée à une peluche clitoris géante, une marionnette femme atteint l’orgasme avec un autre homme que son mari.
Premier constat réjouissant : le cadre de cette (nouvelle) ronde est le consentement : les dix personnages sont tous majeurs et choisissent librement d’avoir des relations. A partir de là, le désir, le plaisir et parfois même l’espièglerie peuvent avoir une place de choix dans l’éventail des interactions proposées, qui se jouent autour des orientations sexuelles, des identités de genre et des pratiques plus ou moins conventionnelles. Il y a du BDSM, du sexe entre deux personnes trans, de l’asexualité, de l’échangisme… Bien sûr, Johanny Bert ne cherche pas à cocher toutes les cases et à montrer une exhaustivité qui, de toute façon, n’aurait pas de sens à l’heure où les nouvelles modalités affectives et sexuelles évoluent sans cesse. Ici, toutes les rencontres et les façons de faire corps se valent, sans aucun jugement porté sur l’une ou l’autre, avec cette envie de l’artiste que « chaque pratique puisse être vue et comprise et analysée à l’endroit du théâtre, à l’endroit d’une fragilité humaine. ». Il y a aussi cette idée de montrer, en filigrane, que certaines choses restent universelles – ainsi, la blessure du rejet, l’émotion de la jouissance, la connexion entre deux êtres.
Dans cette mise en scène génialement méticuleuse, où aucun détail n’est laissé au hasard, les marionnettes s’affranchissent de leur univers enfantin et occupent une autre fonction, beaucoup moins attendue. Un choix délibéré : ce « corps marionnettique », pour reprendre l’expression de Johanny Bert, « permettait ça, de montrer de la nudité, des gens qui se touchent, qui font des pénétrations, des corps fantasmés ».
Mais les vrais corps humains, eux, ne sont pas en reste. Chaque fascinante marionnette est manipulée par deux à trois interprètes qui donnent leur voix et leur jeu. Vêtus de noir, le visage dissimulé, ces derniers évoluent dans l’ombre, tandis que dans le prolongement de leurs doigts se crée le mouvement qui donne vie à leur partenaire inanimé : « Le spectateur se balade entre le rapport à l’illusion, le corps marionnettique et le rapport à la fabrique de cette illusion : de voir ces corps et comment ces corps s’enchevêtrent pour donner vie à un autre corps ».
Et au-delà de la prouesse technique, c’est émouvant de voir comment ces corps hybridés, rencontre de vraie peau et de chair sensuelle de marionnette, dansent ensemble et rendent possible cette nouvelle ronde sexuelle mais aussi très sensible.
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La pièce part ensuite en tournée.
Visuel :©Christophe Raynaud de Lage