« Circus Remake », kaléidoscope mental et sensoriel

Une expérience de cirque de piste pour les théâtres

Le spectacle se distingue d’emblée par sa scénographie. Le parti-pris de Maroussia Diaz Verèke est de créer un cirque totalement contemporain mais puissamment en dialogue avec le cirque traditionnel, et la première façon dont elle le fait est d’user de la piste circulaire autour de laquelle sont disposés des gradins, le fameux « espace des points de vue » si cher à Johann Le Guillerm. Les spectateurices prennent donc place sur le plateau du théâtre, sur trois gradins disposés autour d’un espace circulaire recouvert d’une grande bâche aux couleurs vives.

En réalité, la disposition du public est plutôt à 270°, le dernier cadran étant occupé par un passage communiquant avec les coulisses, flanqué de deux panneaux en miroir ; à côté desquels trônent une table qui accueille divers accessoires et surtout les commandes de la régie plateau, les deux interprètes pilotant le son et les lumières directement. Sur le pourtour de la cage de scène à nu, derrière les gradins, de grands panneaux jaunes, roses, bleus, créent d’office un univers de couleurs très pop. Alliance de la modernité et de la forme traditionnelle : on est bien là dans la recherche qui caractérisait déjà Circus Remix.

Un cirque autant spectaculaire que mental

Circus Remake se distingue par son approche caractéristique du travail de Maroussia Diaz Verbèke, une recherche du point d’équilibre entre l’ancien et le moderne, entre la forme et le fond, entre le divertissant et l’artistique. Cela ne veut pas dire que les performances acrobatiques – acrobaties au sol, marche au plafond, corde souple et corde volante, pour ne citer qu’une partie des disciplines et des agrès – soient en retrait. Les deux interprètes, Niń Khelifa, Theresa Kuhn, sont magnifiques, à la fois de présence joyeuse et de technicité rigoureuse. Mais ce qu’iels font sur la piste va bien au-delà d’un cirque de récréation.

En effet, une grande partie de ce qui irriguait Circus Remix, et donc de ce qui irrigue Circus Remake qui lui fait suite, est une réflexion sur le cirque, sur son histoire et sur ce qu’il amène aux spectateurices contemporain·es. Il ne s’agit pas tant d’une narration, au sens d’un récit, que d’une fresque, au sens de l’exploration d’une généalogie. Et l’un des éléments forts mobilisés est l’interdiction qui a été faite au cirque, pendant plusieurs décennies dans sa période formative, de parler, les artistes étant interdit·es de parole. Maroussia Diaz Verbèke en joue : elle utilise des pancartes et des écrans, des extraits d’émissions de radio remontés de façon très brute et très assumée, pour porter la parole, les interprètes muet·tes n’étant pas pour autant privé·ées de possibilités expressives puisque que leur corps, leur visage, leurs costumes, leurs interactions avec le public, créent autant de formes de communication non verbale qui permettent, notamment, de faire passer beaucoup d’humour.

Les yeux, les oreilles, et la tête aussi

C’est une autre des caractéristiques de Circus Remake : le contrepoint d’un travail de recherche minutieux, de longues réflexions, d’un dispositif qui livre tellement d’informations qu’on aurait envie de prendre des notes tout le long du spectacle, c’est l’humour, non dénué d’auto-dérision, qui rend la proposition extrêmement attachante et pas du tout pédante. En explorant un vaste registre, depuis un décalage subtil entre le texte qui passe sur les écrans et ce qui est entendu, jusqu’au clown physique en passant par des numéros avortés, des clips sonores détournés, des costumes exagérés, la metteuse en piste signale que son spectacle, pour être extrêmement travaillé, ne se prend pas exagérément au sérieux.

Pourtant, du travail, il y en a, à commencer par le millier d’archives sonores patiemment collectées, épluchées, remontées et mixées avec des plages musicales très pop et pêchues. La bande son du spectacle fait oeuvre à elle toute seule, entre citation de styles radiophoniques, hommages sincères, et mise en avant très juste de longs extraits d’un entretien avec Françoise Héritier, l’anthropologue livrant une analyse convaincant de la construction archaïque de l’inégalité entre les genres dans son style lumineux, parole qui éclaire d’un autre angle la présence des corps sur scène et l’acte de regarder qui est le propre d’un public. Au global, c’est un délice pour les oreilles, et la façon très abrupte avec laquelle se font les changements de lumières ont une évidente cohérence avec les cuts très francs qui distinguent ce travail de montage très moderne.

Circus Remake est une proposition de cirque qui réalise la quadrature du cercle, dynamique et entraînant, mais aussi réfléchi et intelligent ; un manifeste en action plutôt qu’un simple spectacle. Il s’adresse au cerveau, aux sens, au cœur tout aussi bien. Les deux interprètes, très joueur·euses, traversé·es par un plaisir communicatif de se mettre au service de la proposition, ne participent pas peu à faire de ce spectacle un petit bonheur, même si certain·es pourront lui reprocher d’être possiblement un peu long, ou d’être peut-être un peu trop riche en information pour être parfaitement digeste.