Le festival Circa programme en ce mois d’octobre 2023 le très bon Cécile de la compagnie flamande Sinking Sideways, qui avait déjà impressionné avec son premier spectacle René. Une proposition de cirque dépouillée, stimulante, follement élégante… et difficilement classable puisqu’il s’agit de mettre au plateau trois spécialistes d’acro-danse et de mettre en mouvement leurs corps selon des principes de rythme et de mouvement empruntés au jonglage !
Trois paires de pieds. Trois paires de pieds éclairés en lumière rasante, sur une sorte de podium peint en orange. Trois paires de pieds qui bougent en rythme, se croisent et se recroisent, le bruit du frottement discret de leurs semelles étant le seul son audible dans la salle. Gauche, droite, avant, arrière. En rythme. Tel est le point de départ de Cécile de la compagnie Sinking Sideways, qui prend une idée simple et folle, jongler avec des corps au lieu de jongler avec des balles, et en fait un spectacle incroyablement ludique bien que conceptuel.
Ce qui est à l’origine une sorte de cascade à trois corps, selon un tempo et un mouvement très simples, devient graduellement plus compliqué. Les corps des interprètes entrent progressivement en lumière, et ils se servent bientôt d’autres appuis que ceux du début, enchaînant roulades et équilibres sur les mains, mais toujours dans des figures qui lient leurs trois corps dans le rythme et dans l’espace, selon des principes répétitifs dans lesquels iels glissent de subtiles variations. Lancés dans des boucles apparemment sans fin, les corps tracent des trajectoires dans l’espace comme le feraient les balles d’un·e jongleur·euse.
En parallèle, l’accompagnement musical, initialement des notes isolées frappées au piano, gagne également en complexité : le rythme est constant mais les harmoniques de plus en plus complexes. On pourrait craindre que cela ne soit répétitif, mais une idée géniale de mise en scène permet de transformer graduellement l’environnement dans lequel les trois interprètes évoluent, et fait entrer dans l’équation de nouvelles contraintes physiques qui les obligent à réorganiser leurs mouvements.
Cela peut sembler abscons. C’est néanmoins complètement engageant, abordable, voire même chaleureux. Les visages des interprètes, d’abord impassibles, s’ouvrent au fur et à mesure de l’avancée du spectacle. Les regards accrochent ceux du public. Xenia Bannuscher, particulièrement, possède une présence absolument rayonnante, qui contribue à rendre la proposition lumineuse. L’effort des trois artistes se fait de plus en plus soutenu et manifeste, mais on sent beaucoup de joie à rester dans ce mouvement perpétuel à trois, à tel point qu’on aurait envie de rejoindre le groupe pour partager leurs jeux. En filigrane, mille choses affleurent sous la proposition : la solidarité au sein du groupe et l’attention à l’autre, l’adaptabilité face à des circonstances changeantes et donc la résilience, le passage du temps et ce qu’il modifie de nos routines…
Cécile, cependant, est une œuvre à sentir et à vivre, plus qu’une œuvre à penser. C’est un spectacle un peu déroutant, mais tout à fait génial, dont on espère qu’il tournera encore longtemps en France.
GENERIQUE
Artistes et coordination du projet : Xenia Bannuscher, Dries Vanwalle, Raff Pringuet.
Regards extérieurs : Geert Belpaeme, Dagmar Dachauer.
Scénographie : Arjan Kruidhof, Arjen Schoneveld.
Composition musicale : Rahel Hutter.
Mixage et mastering : Ariel Schlichter.
Création lumière : David Carney.
Costumes : Hanne Pierrot.
Technicien : Jef Delva.
Photos : Lily Schlinker.
Production : Leoni Grützmacher – ehrliche arbeit / freies kulturbüro.
Diffusion internationale : La Magnanerie / MAG.I.C.
Remerciements particuliers à : C-roy Nimako, Leonard Ermel, Jakob Rosseel, William Blenkin.
Visuel © Heroen Bollaert