Le 10 mars 2025, la Philharmonie de Paris a invité le Czech Philharmonic et son chef Semyon Bychkov pour un concert entièrement dédié à Dmitri Chostakovitch. Le programme comprend le concerto n°1 pour violoncelle, avec comme soliste Sheku Kanneh-Mason et la cinquième symphonie.
Ce fut un moment de grâce ce concerto pour violoncelle n°1 de Dmitri Chostakovitch. Composé en 1959, il rend hommage à Sergueï Prokofiev décédé quelques années plus tôt. Il est dédié à Mstislav Rostropovitch qui en assurera la création à Moscou le 4 10 1959. Il est interprété, ce soir, par le jeune violoncelliste britannique âgé de 25 ans seulement Sheku Kanneh-Mason qui joue sur un violoncelle Matteo Goffriller datant de 1700. Sa concentration est impressionnante, il est totalement habité par la musique. La beauté, la profondeur du son de son violoncelle vont enchanter le public.
L’allegretto initial est une sorte de scherzo, gai, insouciant. Le rythme se répète tel une ritournelle. L’ambiance rythmique devient envoûtante. Le duo du cor et du violoncelle est entraînant, joyeux. Puis la tension monte, le rythme devient presque douloureux avant que le violoncelle ne ramène la douceur, jusqu’au brutal accent final. Les trois mouvements suivants vont s’enchaîner sans interruption. Le moderato est d’inspiration post-romantique, c’est une douce rêverie bercée par une mélodie sereine. Le chant du cor annonce l’entrée du violoncelle. Ce mouvement lent dévoile toute la sensibilité de Sheku Kanneh-Mason avant que des accents plus tragiques ne révèlent son énergie et sa passion. Tout son talent se voit conforté par la longue cadenza, ce long poème lyrique très émouvant. Le public est figé, suspendu au chant solitaire du violoncelle. Tout autre est l’allegro con moto final. Accents orchestraux brutaux, dissonances, intervention des timbales évoquent les meurtrissures, le déchaînement d’une colère. Mais il existe aussi de la moquerie, du sarcasme : le compositeur a repris dans ce mouvement le Souliko, la mélodie géorgienne préférée de Staline pour la tourner en dérision. Chostakovitch n’a pas oublié ses disgrâces et ses souffrances pendant la période stalinienne. Et le concerto s’achève par une ultime déchirure. L’enthousiasme du soliste éclate, rejoint par celui du public pour cette œuvre si séduisante, si émouvante.
Au printemps 1937 Chostakovitch séjourne dans une maison de repos en Crimée. Depuis l’année précédente, il est en disgrâce car Staline n’avait pas aimé son opéra Lady Macbeth de Mtsensk ! Mais un hôte remarque que « tôt le matin, pendant que les autres dorment encore, le compositeur entre prudemment dans la salle sur la pointe des pieds, ouvre le piano et se met à jouer et à noter quelques notes sur du papier à musique ». Trois mois plus tard, lorsque Chostakovitch rentre à Moscou, la symphonie n°5 est presque terminée. Il a voulu écrire une œuvre acceptable pour les autorités mais sans se soumettre totalement. Sa création le 21 novembre 1937 à Leningrad sera un succès. Ce soir, l’orchestre Czech Philharmonic et son chef Semyon Bychkov interprètent avec énergie et sensibilité cette symphonie, peut être la plus jouée du compositeur.
Le moderato initial est riche de ses contrastes, de son orchestration très imaginative. Cette romance mélodieuse est portée par les cordes. On remarquera le solo du premier violon puis le très beau duo des flûtes et des bassons. Cette ambiance paisible, calme est interrompue à plusieurs reprises par le déchaînement de la puissance orchestrale, par des accents tragiques évoquant les coups du destin. L’allegretto dégage une belle énergie, l’ambiance est festive, l’influence folklorique russe patente. C’est un moment de relative insouciance. L’auditeur remarquera à nouveau le solo du premier violon, puis celui du basson, rythmé par les cordes pincées. Le largo est très romantique, c’est une prière mélancolique, peut être dédiée aux souffrances du peuple russe. Nous sommes charmés par le dialogue du violoncelle puis des flûtes avec les violons. Les harpes sont mises en valeur avec de délicats arpèges pour une fin toute en douceur. Superbe ! Timbales et trompettes inaugurent en fanfare l’allegro non troppo final, avant une cavalcade des cordes. La virtuosité et la puissance règnent en maîtres, mais des dissonances, des aigus grinçants semblent relativiser cette musique triomphale qui paraît conduire à une apothéose impériale.
Authentique ou dérisoire, cette marche finale, quasi militaire, est peut être aussi un cri de rébellion. Alors, laissons la parole à Dmitri Chostakovitch : « La plupart de mes symphonies sont des monuments funéraires. Trop de gens chez nous ont péri, on ne sait où. Où peut-on leur ériger un monument ? Seule la musique peut le faire. Je leur dédie donc toute ma musique ». Des paroles qui résonnent encore aujourd’hui…
Visuel(c) : Czech Philharmonic / Semyon Bychkov / Sheku Nanneh- Mason, le 10 03 2025, Philharmonie de Paris