Créé il y a 24 ans, le festival Jazz des Cinq Continents est l’un des festivals de jazz phares de l’été. Organisé à Marseille dans 5 lieux clés (le Théâtre de la Sucrière, La friche Belle de mai, la Vieille Charité, le Palais Longchamp et le Conservatoire National Pierre Barbizet), il programme cette année des pointures du jazz, de la funk et de la folk, telles que Gregory Porter, Cat Power, Keziah Jones, Kyle Eastwood, Roberto Fonseca ou encore Les Egarés, pour le plus grand bonheur des mélomanes du coin et d’ailleurs.
Samedi 6 juillet, en deuxième partie de soirée, à 21h, les Égarés se produisaient à la Vieille Charité, lieu emblématique du Panier, quartier tout en couleur, réservé aux piétons, aux touristes et aux ateliers d’artistes. Le lieu, ancienne bâtisse réservée aux plus démunis de Marseille, fondé au XVIIe siècle, est un centre polyvalent qui accueille de nombreuses structures culturelles. Y prennent place chaque année des expositions, projections et concerts en plein air. Les Égarés, ce sont 4 musiciens qui se sont trouvés, 4 artistes world’n’jazz du moment repérés et qui ont monté un quatuor en 2019 : Ballaké Sissoko (kora), Vincent Segal (violoncelle), Vincent Peirani (accordéon) et Emile Parisien (saxophone alto).
Leur rencontre date de 2019, dans un autre festival, celui des Nuits de Fourvière à Lyon qui a réuni de nombreux musiciens dont les 4 précités. A l’occasion des 15 ans du label NØ FØRMAT, une idée a surgi, celle de créer ensemble, d’improviser. Un album suivra, enregistré pendant une semaine à Gap, une petite ville du sud-est de la France. Sorti en mars 2023, il s’appelle Les Égarés. Les 4 artistes (ayant créé séparément et en mode duo : Vincent Segal/Ballaké Sissoko et Emile Parisien/Vincent Peirani) sont réunis sur la pochette peinte dans des tons dominants de vert et de bleu, avec leurs instruments, histoires et silhouettes.
A Marseille, les musiciens entrent en scène, dans la cour intérieure de la Vieille Charité, avec leurs instruments. Face à eux, un public intergénérationnel, à l’écoute, attentif. Derrière eux, 3 étages de galeries et de multiples arcades sont éclairés par un subtil jeu de lumières, offrant une atmosphère apaisée. La musique démarre, doucement, joliment. L’harmonie, l’amitié entre les 4 musiciens se ressent très vite.
A l’heure du concert, il fait encore jour et beau dans le sud. Des chaises ont été posées sur le gravier. Le moindre mouvement se fait entendre. Des mouettes (volatiles mélomanes ?) surgissent dans le ciel. Ballaké Sissoko lève la tête, mi-surpris mi-amusé.
La musique se poursuit et prend une teinte très émouvante avec le morceau Izao. Autour de nous, ça réagit. Un spectateur lance : « Je vais me mettre à l’accordéon ». Son ami : « J’ai pris un coup de vieux, je commence à aimer le jazz ». Le ciel s’assombrit, les arcades changent de ton : jaune, mauve, bleu. Les morceaux, originaux, s’enchainent excepté les reprises enthousiastes de Orient Express de Joe Zawinul (Wheather Report) et Ezperanza de Marc Peronne.
En jouant, Ballaké Sissoko lâche des « yeah » tandis que Vincent Peirani, pieds nus, réagit en souriant au-dessus de son accordéon. Emile Parisien, au saxophone, se lâche, se lève, se rassoit. Il entame un solo. Plus un bruit ne se fait entendre, pas même un cri de mouettes, comme si elles s’étaient posées, sans bruit, pour écouter.
Les musiciens changent de registre. Les couleurs aussi. Le light show fait apparaître de l’orange, du mauve, du rouge. La nuit tombe, un voile de mystère s’abat sur le concert qui devient intimiste. Ce qui est joli pendant ce moment, c’est la proximité de la scène avec le public. Les sièges sont tout proches de la scène, des musiciens. Non seulement, il y a la musique, mais aussi la façon de jouer, les postures des corps, les expressions faciales. Ce qu’on aime aussi, au festival, c’est le fait qu’il n’y a pas de codes, pas de rideau, de coulisses. Une fois le concert terminé, les musiciens se prennent dans les bras en descendant les quelques marches qui les séparent du sol, et reviennent spontanément sur scène.
L’an prochain, le festival Jazz des Cinq Continents fêtera son quart de siècle. Nul doute que de grands noms seront attendus à Marseille pour de nombreux concerts à ciel ouvert. En attendant, c’est au tour de Grégory Privat et Gregory Porter de se produire ce vendredi 12 juillet devant les festivaliers aux Jardins du Palais Longchamp, autre écrin sublime de la ville. Et demain, ce sera au tour de Marion Rampal, David Walters et Roberto Fonseca de clôturer cette 24 édition.
Visuel : © Clara Lafuente