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André Manoukian : « Je suis mystique, comme tous les musiciens »

par Yaël Hirsch
03.06.2024

Alors que le 19e festival des Cultures juives se déroule du 16 au 27 juin, l’invité de marque du concert d’ouverture est le pianiste, compositeur et passeur, André Manoukian. Le 17 juin, lors d’une carte Blanche au Théâtre du Rond-Point, il a invité la chanteuse grecque Dafné Kritharas et le philosophe des sciences Etienne Klein à célébrer l’ouverture officielle de ce festival. Pour Cult.news, partenaire de l’évènement, il évoque cette soirée d’ouverture placée sous le signe de l’échange et du questionnement.

Quel est votre rapport au judaïsme et aux cultures juives ?

Le judaïsme n’est pas ma religion : je suis d’origine arménienne et fondamentalement chrétien, ce que nous avons payé très cher. Et pourtant je me sens proche de cette tradition. J’ai même eu une période où je m’intéressais à la Kabbale et je voulais aussi apprendre l’hébreu. Et j’ai longtemps cherché pourquoi j’étais coincé dans ce qu’on pourrait appeler un «philosémitisme». Cela ne me plaisait pas parce que j’avais l’impression que cela pouvait être la «face B» de l’antisémitisme. Il me fallait comprendre pourquoi les plus grands esprits, Einstein, Freud, Marx étaient juifs. J’ai fini par trouver que c’était lié à une culture du questionnement. Il y a une tradition de spéculation talmudique qui me parle beaucoup et qui me plaît. J’ai un esprit à la fois cartésien et curieux et la religion juive me semble le plus rationnel des monothéismes. Les deux autres sont plus mystiques. Spéculer autour d’un texte me plait. Le jeu sur les lettres sans voyelles permet des interprétations, sans compter la symbolique et la gematria qui permet de proposer des interprétations avec la valeur numérique des lettres. C’est passionnant d’écouter des rabbins discuter des écritures pendant des heures. C’est une tradition religieuse proche de la science et c’est aussi chercher une vérité cachée dans un texte, comme dans une chasse au trésor. Je suis mystique, comme tous les musiciens, mais je ne pratique pas. En revanche, j’ai besoin de tout pouvoir discuter. De pouvoir parler et poser des questions.

C’est donc la culture de l’interprétation qui vous parle dans le judaïsme ?

J’aime aussi le jazz pour cette raison. Non seulement on improvise sur un thème, mais quand on improvise, on renverse l’ordre des lettres, on les met à l’endroit et à l’envers. Fatalement, il faut les analyser mais vous éprouvez la musique en la jouant. Quand vous prenez trois notes et expérimentez leurs sonorités, ce n’est plus de la spéculation intellectuelle, mais c’est un jeu. En fait, le jazz se permet d’interpréter. Et c’est ce que fait la religion juive, encore maintenant. Même chez les ultra-orthodoxes. Je me rappelle un reportage sur Arte où l’on posait la question à des juifs très observants : « Qu’est-ce qu’un bon étudiant ? ». La réponse demeurait : « il faut poser des questions ». Poser des questions par rapport à un texte, c’est le rendre vivant, c’est lui redonner une vie. C’est la même chose avec la musique. Peu importe le style, à partir du moment où elle n’intègre pas de nouveaux éléments, elle devient académique et elle meurt. C’est comme cela qu’on a figé la musique dite classique, alors que par exemple Mozart faisait du pingpong avec son maître, Haydn sur les thèmes qu’il composait. Petit, je regardais l’émission « À Bible ouverte », l’émission du dimanche matin de Josy Eisenberg et Elie Wiesel. Je ne comprenais pas tout mais j’adorais. Et je me rappelle plus précisément d’une émission sur le sacrifice d’Isaac. Elie Wiesel se demandait si Dieu était un monstre pour demander à un père de sacrifier l’enfant qu’il a attendu cent ans.

Quels sont les ponts culturels entre les Juifs et les Arméniens ?

Évidemment, nous avons vécu la même chose, les Juifs en Occident et nous, les arméniens, dans l’Empire ottoman. Et nous avons en commun le fait d’être une minorité dans un milieu hostile. Il y a une langue à la maison et une autre au dehors et cette dernière est la langue de l’ennemi. Si on ne la comprend pas, c’est une question de vie ou de mort. D’où la nécessité d’être « en intelligence » avec l’autre, de le comprendre et se faire comprendre par lui. Être intelligent, cela développe des capacités d’écoute, de compréhension, de traduction. Et je vois cela entre les arméniens et les juifs, cette idée de composer, de faire le dos rond et de déployer des stratagèmes pour simplement vivre tous les jours. C’est comme cela que ma grand-mère s’en est sortie. Elle a été déportée vers le désert de Syrie. Quand elle a vu le commandant du convoi faire ses prières cinq fois par jour, elle lui a dit « Tu as l’air d’être un homme pieux, comment peux-tu traiter des hommes et des femmes comme cela ? ». En fait elle lui a parlé son langage, et il a dit : « Tant que je serai commandant de ce convoi, tu seras sous ma protection ». Si je suis ici, c’est grâce à cet échange. C’est parce que ma grand-mère et mon père sont rentrés vivants. Parler la langue de l’autre n’est pas une question de snobisme ou de culture, c’est une question de vie ou de mort.

Et question musique, pouvez-vous nous parler de vos albums «arméniens», dont le magnifique Anouch, dédié à votre grand-mère ?

Si on m’avait dit un jour que je jouerai la musique de ma grand-mère, j’aurais rigolé. Moi qui ne jurais que par Coltrane, je me suis mis sur la route de l’Orient, il y a une quinzaine d’année. J’ai découvert cette musique quand on m’a demandé de composer la bande originale du documentaire Arménie, l’autre visage de la diaspora, réalisé par Marie-Claire Margossian. Je devais juste témoigner aux côtés de Michel Legrand, Charles Aznavour, Michel Petrossian. Mais elle m’a demandé de jouer quelque chose d’arménien et tout à coup j’ai retrouvé une vague mélodie de berceuse que me chantait ma grand-mère que j’ai agrémenté à la Bill Evans, à la main gauche. Et voilà comment elle m’a commandé la musique du film. Ce qui m’a évidemment conduit à aller chercher thèmes arméniens, des musiques de mes ancêtres. Or, la musique arménienne est la musique orientale la plus occidentale ou la musique occidentale la plus orientale. On est entre deux mondes et c’est cela toute la tragédie des Arméniens. En période de paix, ils ont fait le lien entre l’Occident et Empire ottoman. Mais en période de guerre, ils ont été traités de traîtres et massacrés. J’ai découvert une musique riche de mélodies à la Satie, avec des inspirations russes et aussi quelques influences orientales. Cela a été une révélation pour moi à un moment où je me questionnais, alors que mes parents ne m’ont jamais élevé dans l’esprit communautaire. Et cela m’a permis de remettre le piano, en quelque sorte, au centre du village, là où le jazz me limitait un peu pour cet instrument, car quoi proposer avec Bill Evans et Theolonius Monk ? J’ai trouvé dans cette tradition des petites mélodies modales autour desquelles on tourne comme des arabesques et qui peuvent aller jusqu’à la transe, cela m’a sauvé. Pour une fois que mes ancêtres m’amènent autre chose que des névroses ! Voici comment je suis parti sur la route de l’Orient musical.

Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Dafné Kritharas qui sera là le 17 juin ?

Sur ce chemin de l’Orient, le plus bel instrument qui soit, c’est la voix. J’ai fait des tentatives avec des chanteuses arméniennes. Mais à cause du génocide et de l’éducation russe, désormais elles sont souvent très occidentalisées. Il y a eu une volonté de désorientaliser la musique arménienne au 20e siècle, le turc était interdit. Dans cette veine, les Grecs sont allés encore plus loin : dans les années 1930, ils ont interdit les quarts de tons, liés à la musique orientale et turque. J’étais en quête d’une voix qui me permette de renouer avec le port de Smyrne où est né mon père. Sachant que le principe d’une voix, c’est qu’elle improvise. Au 19e siècle, il y avait des concours d’improvisation. Et Dafné est la première chanteuse que je rencontre qui sache improviser. Quand elle nous emmène, même si je suis un grand bavard, il n’y a plus de mots pour exprimer ce qu’il se passe. Et la langue grecque est extrêmement mélodieuse et ancienne, c’est celle du récit de l’Odyssée. Quelque chose nous touche tous comme si c’était la langue des origines, cela vient de loin. Par ailleurs elle connaît bien le chant ladino. En plus, à travers elle, j’ai rencontré une scène musicale parisienne composée de musiciens trentenaires, qui ont une histoire liée à l’exil. Ils sont kurdes, grecs, arméniens… et jouent ensemble, notamment sur la péniche Anako. Quand on pense au contexte géopolitique, cela fait du bien et nous rappelle que la vocation de la musique, c’est de réunir.

Comment avez-vous rencontré Étienne Klein et comment va se passer ce dialogue piano, science et voix ?

Étienne Klein est philosophe des sciences et quand je l’entends parler, j’ai la même admiration et le même plaisir que quand j’entends parler un rabbin. Il est astrophysicien mais une grande partie de son travail est de rendre accessible le savoir immense qu’il a accumulé, sans le galvauder. J’associe ce travail extraordinaire à l’art de la mélodie. Faire une mélodie, une ritournelle, un air de musique ou un « hear worm », comme disent les anglais, c’est composer un air qui vous rentre dans la tête dès la première écoute et que vous pouvez chanter spontanément et immédiatement. Etienne Klein a ce pouvoir avec les notions scientifique. Il sait parler de choses, complexes et fascinantes, à chacun et chacune. Il manie si bien le verbe qu’on va pouvoir faire sur scène une dissertation sur la manière de construire une pensée. Comment transmettre quelque chose de complexe et le transmettre aux gens sans les abîmer, il faut prévoir plusieurs heures … Et aussi un peu de musique.

Pour en savoir plus sur le Festival des Cultures Juives c’est ici.

Pour écouter Anouch, c’est là.

Et André Manoukian signe la programmation de deux festivals cet été : Les Baux de Provence et  Cosmojazz.

visuel (c) Antoine Jaussaud