Dans Le couteau, Salman Rushdie relate sa violente agression puis son long chemin vers un retour à une vie, presque normale. Ses réflexions portent sur les réponses à apporter à la haine et la violence aveugle.
« L’homme jaillit et vint vers moi, masqué, en costume noir, tel un missile ». « C’était donc toi, te revoilà ». Trente-trois ans après la Fatwa prononcée par Khomeini, c’est un dramatique retour en arrière. L’agression au couteau est survenue par une belle matinée ensoleillée, le 12 août 2022, à Chautaqua, état de New York. Salman Rushdie devait s’exprimer lors d’une conférence sur la protection des écrivains ! Vingt-sept secondes ! Vingt-sept secondes et de multiples coups de couteau avant que l’agresseur ne soit maîtrisé. Puis de longues heures de sensation de mort imminente.
Alors, il décrit son long parcours de patient. Ses 18 jours en soins intensifs lorsqu’il était « dans un sale état ». Puis son séjour en rééducation. Avec humour, il raconte les hauts et les bas de ce parcours du combattant, aidé par une farouche volonté de vivre. Place à la joie lors de la sortie de l’hôpital 12 semaines plus tard. Le bonheur est intense lors du retour à son domicile ou lorsqu’en décembre les médecins lui annoncent que « tout est réglé ». Dans ce récit, il rend un grand hommage à sa femme Eliza et à sa famille, pour leur soutien indéfectible. Il ne voudra pas nommer son agresseur et l’appellera «A», comme assassin. Il ne voudra ni le voir ni le rencontrer dans sa prison, mais il imaginera un long dialogue avec lui. Afin d’essayer de comprendre. Puis peu à peu, il va tourner la page et « A » va perdre de son importance.
Salman Rushdie est un grand conteur. Le récit de son agression, de ses souffrances, de sa longue convalescence est émouvant. Il le fait avec simplicité, humour, suscitant une grande sympathie. C’est aussi un fin observateur du monde médical. Ses digressions, toujours intéressantes, donnent une fluidité au livre, comme s’il ne faisait que suivre le cours de sa pensée.
Lorsque l’inspiration littéraire et l’optimisme lui reviennent, il décide d’écrire ce livre, « le livre de l’attaque », pour passer ensuite à autre chose. Il ne veut pas rester l’homme qui s’est fait poignarder. Pour cet écrivain qui a fait de la liberté d’expression son combat, ce livre doit dépasser son cas personnel, il faut répondre à la violence par l’art. Il ne doit pas poser son stylo, car il y a une bataille culturelle à mener contre l’obscurantisme.
Le chapitre dans lequel il imagine son entretien avec « A » est passionnant. Il tente de rentrer dans la psychologie du terroriste, d’analyser la montée de la haine, de comprendre comment on décide de devenir un meurtrier.
« Je me détourne de la haine pour me tourner vers l’amour », telle est la réponse de Salman Rushdie à son agresseur. Son livre est une leçon de courage et de tolérance. Il a choisi l’ange de la vie.
Salman Rushdie, Le Couteau, Gallimard, 272 pages, 23 Euros, sortie le 18 04 2024
Visuel (c): couverture du livre, éditions Gallimard