Actes Sud publie le deuxième livre de l’écrivaine russe Vera Bogdanova, née en 1986. Un tableau affreusement violent et pessimiste de l’adolescence et de la vie en Russie au tournant des années 1990-2000.
Il faudra bien du courage et de la joie de vivre pour finir Saison toxique pour les fœtus. Le roman, publié en 2022 d’une autrice de textes de science-fiction, s’ancre pourtant au plus près du réel. Vera Bogdanova rend compte d’une société dans laquelle elle a évolué, d’amis qu’elle s’est fait et de craintes qui l’ont travaillées. La Russie, et plus particulièrement les Russes, ne ressort pas grandie à la lecture du roman : alcoolisme (on y boit chaque page), violence verbale et physique, poids des traditions…
En 1995, quelques années après l’implosion du Bloc de l’est, deux cousins se draguent gentiment dans la datcha de leur grand-mère. D’une part, Ilia, adolescent de treize ans prédit à un bel avenir, à la carrure d’épaule qui impressionne déjà. De l’autre Jénia, onze ans, que sa famille passe son temps à rabaisser, bonne à rien : « ça allait être très dur pour elle dans la vie, même si elle était intelligente ». Les deux adolescents écoutent de la musique, sortent en boîte, se prennent des cuites et boivent leur premier Coca. Malgré les conventions, les deux finissent par s’embrasser quelques années plus tard. Tout ça sous le regard de Dacha, la petite-sœur d’Ilia, la laissée-pour-compte.
Rien d’héroïque et de picaresque dans ce roman russe où Vera Bogdanova s’intéresse avant tout au quotidien des adolescents de la fin des années 1990, entre craintes des attentats tchétchènes et optimisme d’une ouverture sur le monde. Le roman prend d’ailleurs réellement son envol lors de sa deuxième partie, après avoir laissé nos trois protagonistes évoluer seuls quelques années. Telle une laborantine, l’auteure dissèque les conséquences d’une adolescence marquée par la violence sur la vie adulte.
Saison toxique pour les fœtus dit l’épuisant machisme qui gangrène la société russe (toxicité dans les relations amoureuses, violences conjugales…) et raconte l’alcoolisme élevé au rang de sport national pour fuir l’ennuyeux quotidien. Un livre triste et percutant, mais aussi un roman d’amour.
« Jénia avait commencé à picoler tout doucement, à doses homéopathiques. A son arrivée à Vladivostok, quand elle cherchait du travail, l’alcool lui permettait d’étouffer son angoisse. Elle buvait un peu de vin le soir, délicatement. Puis ce furent quelques verres après le travail : d’abord le vendredi ; puis le lundi, le mercredi et le vendredi. Pendant la semaine, quand elle se disputait avec Amin, elle buvait deux verres, dans une fière solitude. Le week-end, quand personne ne l’appelait, elle en buvait trois, en grignotant du poisson pour que ça passe mieux. En décembre aussi, quand il faisait un temps horrible. Et quand les enfants sous ses fenêtres criaient particulièrement fort. La vie semble plus facile quand on a quelque chose à boire. Et puis c’est juste du vin, ça ne peut pas faire de mal. »
Saison toxique pour les fœtus, Vera BOGDANOVA, traduit du russe par Laurence Foulon, Actes Sud, collection « Lettres russes », 272 pages, 16,99 €
Visuel : © Couverture du livre