Dans « d’or et de jungle » Jean-Christophe Rufin décrit la préparation et la réalisation d’un coup d’État dans le petit, mais riche sultanat de Brunei. Le coup d’État est mené par une poignée d’aventuriers sans scrupules au service des géants d’Internet.
« Je te propose un coup d’État clés en mains ». Telle est la surprenante proposition de Ronald à son ami d’enfance, Marvin, devenu un richissime patron au sein des « GAFAM ». Nous sommes en Californie dans une somptueuse villa surplombant l’océan Pacifique. Ronald a servi dans l’armée, dans les services secrets, puis dans une agence privée. Il sort de prison, après une tentative ratée de coup d’État à Madagascar. Mais Ronald sait être très persuasif et les milliardaires californiens des « GAFAM » vont s’enthousiasmer. L’idée est d’avoir son propre état pour s’affranchir des limites étatiques.
Alors Ronald rassemble son équipe. Il rejoint Flora au bout du monde dans un port chilien déshérité. Championne de plongée, elle a participé, avec Ronald, à de nombreuses missions. Il recrute un vieux professeur, très pittoresque, Hugues Delachaux, un spécialiste de la théorie des coups d’État. Rapidement la décision est prise, cela sera le sultanat de Brunei à Bornéo. Les hackers passent le pays au scanner, en dévoilant les failles. Flora se rend sur place avec Jo, un personnage extraverti, truculent pour « sentir le pays ». Il s’agit de déclencher une réaction en chaîne, de provoquer l’ébranlement rendant possible le coup d’État. Le chaos et la violence vont s’abattre sur le sultanat.
« D’or et de jungle » est d’abord un roman d’aventure qui se lit avec plaisir. Le suspense, les rebondissements accrochent le lecteur. Ronald a une personnalité complexe, il a sa part d’ombre, il est menteur, manipulateur, mais ce qui le motive vraiment, c’est l’aventure. Flora est plus secrète, plus solitaire, plus tourmentée. Après la mort de ses parents, « sa vie est devenue un gouffre ». Les personnages, mêmes secondaires, sont finement étudiés sur le plan psychologique. Jean-Christophe Rufin était un voyageur, les descriptions sont souvent très belles, en particulier celle de l’arrivée à Brunei et celle de la jungle.
La thèse du livre est que les «GAFAM» voudront disposer de leur propre état pour protéger au mieux leurs intérêts privés. Vu leur puissance, cette hypothèse paraît probable à l’auteur. La mise en place d’une équipe, la longue préparation du coup d’État sont passionnantes. C’est donc un livre sur les ressorts et les dérives d’un pouvoir qui s’extrait de toutes limites. Il décrit une déstabilisation diabolique du Sultanat. Les protagonistes du roman sont des apprentis sorciers d’un cynisme total.
Jean-Christophe Rufin nous offre un roman d’anticipation, très imaginatif, très captivant, inquiétant aussi. Inquiétant, si la réalité rejoignait la fiction…
Jean-Christophe Rufin, D’or et de jungle, éditions Calmann-Levy, 400 pages, 22,50 Euros, sortie le 7 02 2024.