« Des Corps disponibles » : la sociologue Cécile Thomé étudie l’influence de la pilule sur nos scripts sexuels

Quand, avec la loi Neuwirth, la pilule devient légale, une bataille fondamentale du mouvement féministe semble gagnée : désormais, les femmes disposent de leur corps et font, selon la formule consacrée, « des enfants quand elles veulent, si elles veulent ».

Une révolution contraceptive

Après un retour historique bienvenu sur la révolution que fut la pilule contraceptive sur la vie sexuelle des jeunes femmes, mais aussi sur la vie conjugale des moins jeunes, Cécile Thomé se livre à une étude approfondie des non-dits liés à l’omniprésence de cette pilule dans les armoires pharmaceutiques. Si, désormais, le choix de la grossesse est entre les mains des femmes – elle rappelle que, grâce au retrait et au préservatif, la contraception lui préexistait, mais était essentiellement le fait des hommes – , c’est aussi sur leurs seules épaules que celle-ci repose désormais. Elle montre ainsi que la pilule n’a pas seulement modifié le rapport des femmes à leur corps, mais aussi la personne chargée de la contraception : alors qu’avant sa légalisation, « faire attention » était une affaire d’hommes, qui y voyaient une affirmation de leur pouvoir et de leur maîtrise d’eux-mêmes, ils abandonnent désormais cette préoccupation à leur compagne.

De nouveaux scripts sexuels

Cette nouvelle bipartition des genres n’est pas sans incidence sur la vie des femmes hétérosexuelles, qui subissent une nouvelle charge mentale et les éventuels désagréments liés à la prise de la pilule magique : effets secondaires, mais aussi tout le parcours que cela implique – rendez-vous chez le gynécologue, prises de sang etc. Mais elle marque aussi une nouvelle conception des rapports des hommes et des femmes à la sexualité : alors que les hommes, en tant que responsables du retrait, étaient auparavant perçus comme aptes à se contrôler, ils sont désormais considérés comme ayant une sexualité instinctive. Cette hégémonie de la pilule serait une spécificité française, d’autres pays occidentaux ayant, très tôt, vulgarisé l’emploi d’autres contraceptifs tels que le dispositif intra-utérin.

L’intérêt du livre de Cécile Thomé est d’interroger ce qui fonde désormais nos scripts sexuels et nos regards sur la norme sexuelle. Il ne s’agit bien sûr pas de mettre en cause la formidable liberté que fut la pilule pour les femmes hétérosexuelles, mais de montrer ses conséquences pratiques autant que d’appeler à poursuivre la recherche vers d’autres contraceptifs possibles. Un ouvrage complet et stimulant.