Du 15 au 17 novembre 2024 se tiendra le festival BD de Colomiers, près de Toulouse, qui met en avant la bande dessinée indépendante et la jeune création. Entretien avec Amandine Doche, la programmatrice de ce festival très engagé.
Le festival BD Colomiers fête ses 39 ans cette année, est-ce que vous pourriez nous en faire un petit historique ?
Le festival est d’abord né dans les maisons citoyennes de Colomiers, il est vraiment parti d’une envie des habitants et des habitantes. Petit à petit, il s’est professionnalisé et est devenu un festival municipal avec mon prédécesseur Patrick Rouquette, qui l’a programmé pendant 25 ans. C’était un festival dans la veine de son époque, qui présentait aussi bien de la BD franco-belge que des choses assez mainstream, mais avec déjà un goût pour l’édition indépendante.
Puis je suis arrivée il y a une dizaine d’années. Mon goût allait plutôt vers la BD indépendante et il me semblait que c’était quelque chose que l’on pouvait creuser à Colomiers, et les équipes et les affaires culturelles ont été emballées. Donc on a redéfini la ligne artistique pour en faire un festival porté sur la jeune création et l’édition indépendante, des choses qu’on voit moins facilement en librairie ou dans les grands médias.
Vous offrez donc une plateforme aux petites maisons d’édition ?
Oui, c’est ce qu’on a retravaillé ces dernières années, qui a bien pris et qui attire un public très familial. Notre pari était de montrer de la BD assez exigeante mais de ne pas faire un festival pour les professionnels ou pour les initiés. Je crois qu’on a assez bien réussi avec, d’une part, un travail à l’année dans les écoles de Colomiers et avec le Pavillon Blanc, la grande médiathèque centre d’art de la ville, qui met ces ouvrages en avant toute l’année. Et d’autre part sur le festival, avec beaucoup d’actions culturelles, de projections, de spectacles, de rencontres un peu ludiques… C’est foisonnant. Il y a beaucoup de choses à faire, à voir, même sans connaître les auteurs- autrices ou les éditeurs- éditrices.
Le festival est très engagé dans beaucoup de domaines. Vous venez d’ailleurs de recevoir le prix de l’engagement de l’action littéraire de la Sofia…
Oui, on était contents de ce grand prix décerné par la Sofia, dans la catégorie engagement. Ça recoupe plein de choses : l’engagement sur toutes les questions d’égalité de genre, de montrer autant d’autrices que d’auteurs, notre engagement aussi à bien rémunérer les auteurs et les autrices en festival, ce qu’on fait depuis longtemps pour les expositions, les droits de monstration, les ateliers, et on s’est engagés aussi assez vite dans la rémunération des dédicaces, ce qui est vraiment très important pour nous. Et plus récemment, parce que ce sont des questions qui nous concernent tous, un engagement sur la transition écologique, utiliser des matériaux réutilisables, bannir le plastique du festival… On essaye pour toute notre proposition de repas pour les auteurs et autrices, mais aussi pour les festivaliers, de faire 100% local et végétal.
On réfléchit à comment créer des choses dont on va se resservir d’année en année, comme les signalétiques de stand, quitte à les retransformer un petit peu. En quelques années, on a fait pas mal de progrès, mais on a encore beaucoup à faire. On loue aussi tout ce qui est mobilier dans les ressourceries, qui s’appelle la glanerie à Colomiers, pour meubler tous les espaces du festival.
Qu’est-ce que vous auriez comme autre piste pour continuer dans cette direction ?
Les déplacements, c’est une grande question. Cette année, on fait une exposition internationale avec des auteurs-autrices qui viennent du Canada et forcément le bilan carbone n’est pas génial. On essaye alors de faire rester les personnes plus longtemps pour des tournées en France ou en Europe, qu’ils se déplacent dans d’autres endroits. Mais il faut beaucoup l’anticiper et ce n’est pas toujours le cas. Il y a aussi l’organisation du transport des œuvres. On fait un peu au coup par coup et forcément ça génère des déplacements importants. C’est vraiment la chose qui est le plus perfectible à ce stade sur la transition écologique.
Que faites-vous pour soutenir les auteurs-autrices et la jeune création ?
On a un prix, le « Prix Toute Première Fois », qui récompense chaque année le premier ouvrage publié à compte d’éditeur d’un auteur ou d’une autrice. Ce prix est doté de 1500 euros, et c’est l’occasion de rendre ce livre plus visible en librairie par toute une communication spéciale autour et aussi d’accompagner financièrement.
Et on a aussi mis en place une résidence de bande dessinée de trois mois tous les ans où on accueille des auteurs et des autrices qui n’ont jamais été publiés encore, ce qui est rare aujourd’hui en France. On les accueille en général à la sortie des écoles d’art et on les accompagne dans cette période de fin des études, début de professionnalisation, on essaye de trouver le premier contrat d’édition, de monter leur premier dossier éditorial, tout ça. On est ouvert aux littératures dessinées de manière assez large, on a reçu par exemple dans cette résidence Laurie Agusti qui a publié beaucoup d’illustrations jeunesse. Il y a un accompagnement financier de 6 000 euros pour cette résidence, on met un appartement à disposition, et après il y a l’accompagnement de l’équipe pour leur faire des retours sur le travail, leur donner des conseils, les mettre en contact avec des éditeurs des éditrices. On veut vraiment que ça soit un temps pour se trouver.
Vous avez également sorti un podcast, La peau de l’ours.e …
Oui, on a commencé l’année dernière, et on vient de lancer la deuxième saison avec Anne Simon. C’est François Poudevigne qui est aux entretiens, il va rencontrer par saison quatre ou cinq auteurs-autrices qui sont en train de travailler à leur prochain ouvrage. L’idée est de s’inviter dans les coulisses de la création et de faire parler les auteurs- autrices sur le moment où ils sont en train de produire leur livre. On les entend parler des doutes, des questionnements qui accompagnent cette création. On essaye de faire un podcast un peu immersif avec des ambiances.
Dans la première saison, on avait interviewé Léon Maret, Margaux Meissonier, qu’on avait reçue en résidence, Charlotte Bresler, qui était notre autrice en résidence à ce moment-là, et Jérôme Dubois, qui vient de sortir son dernier livre chez Cornélius. Et notre première invitée était Juliette Mancini, qui est publiée aux éditions Atrabile. C’est l’occasion de parler de ce qu’on fait, mais d’une manière différente, et puis que des gens qui ne viennent pas à Colomiers soient aussi un peu touchés par ce qu’on fait.
Vous avez aussi un engagement social et éthique fort dans ce que vous proposez : un ancrage sur le territoire, une accessibilité au public, une égalité de représentation des genres…
Pour nous, c’est évident qu’il doit y avoir un équilibre dans la programmation, et qu’on doit porter une attention particulière à cette question de la représentation des genres. C’est un prérequis pour travailler notre programmation, un engagement qu’on défend depuis le début.
On travaille beaucoup pour que le festival soit accessible à tous à toutes, par exemple on accueille des bénévoles en situation de handicap, qu’on accompagne sur des missions comme certaines années où on avait toutes nos rencontres traduites en langue des signes. Ce sont des choses sur lesquelles on cherche à progresser pour que vraiment tout le monde puisse profiter du festival de la meilleure manière possible. Et les tarifs d’entrée sont très abordables, et il y a beaucoup de gratuités.
Le festival s’étend dans toute la ville, il y a beaucoup de lieux qui s’engagent pour l’occasion
Colomiers, c’est vraiment le symbole de la ville moyenne. C’est un défi de faire venir évidemment les gens de la ville, mais aussi les gens de la métropole et ceux de Toulouse. Donc on a des propositions un peu sur toute la ville, la grande médiathèque, des petites salles, le cinéma, le Hall Comminges… et on a aussi des programmations dans d’autres villes autour. On organise des expositions ou des rencontres avec des lieux toulousains, Le Muséum d’histoire naturelle, par exemple, ou le Quai des savoirs, qui font souvent appel à nous pour un aspect BD dans le cadre de leur programmation. Donc on s’arrange pour travailler ensemble à l’échelle du territoire toulousain.
Vous avez aussi beaucoup de collaborations avec les librairies
Oui, on a plus d’une quinzaine de librairies partenaires, surtout dans le cadre d’une opération qui s’appelle « All you need is lire ». Tous les ans, on finance l’achat de livres auprès de deux éditeurs qu’on choisit, on essaye d’axer sur des petites maisons d’édition qui viennent au festival. Cette année, c’est L’Agrume et Atrabile. On leur achète pour 5 000 euros de livres en direct, et les libraires partenaires font leurs commandes. Puis si vous achetez un livre d’Atrabile ou de L’Agrume en ce moment dans une des librairies toulousaines, vous avez un livre d’Atrabile ou de l’Agrume offert. Ça permet aux libraires de mettre des catalogues différents en avant tous les ans et à des gens de découvrir des titres qu’ils n’auraient pas forcément acheté. Les libraires organisent même tout seuls des dédicaces, des rencontres, des expositions dans leur librairie en lien avec le festival BD.
Comment est-ce que vous avez rencontré et sélectionné les éditeurs invités à participer ?
Quand je suis arrivée, il y avait beaucoup moins d’éditeurs et d’éditrices qui venaient sur le festival parce que c’est de l’argent, et c’est aussi du temps. On s’est demandé comment on pourrait faire venir des auteurs et des éditeurs qui nous intéressent, et on a mis en place une politique de prise en charge des auteurs, des repas, des hôtels. C’est un effort financier qui nous a permis d’aller rencontrer des éditeurs, surtout à Angoulême. Puis, on a fait une première expo avec les éditions 2024, qui en a parlé à Presque Lune, à L’Employé du mois, à Cambourakis… ça s’est fait au fur et à mesure, un effet boule de neige. Et maintenant on a plus de demandes que de places.
Autour de la BD vous proposez aussi du cinéma d’animation, et on retrouve le palmarès du festival d’Annecy
Oui, effectivement. On a aussi à Colomiers Press Play, un festival sur les images animées : la jeune création du cinéma d’animation et du jeu vidéo indépendants. C’est un tout jeune festival, on va faire la troisième édition cette année, et on l’a imaginé comme un deuxième temps qui rejoint le festival BD dans sa lignée artistique. Pour le cinéma, évidemment, on regarde beaucoup ce qui se fait du côté d’Annecy. Et notre partenaire, le cinéma Véo à Colomiers, nous propose aussi beaucoup de choses.
Et cette année au cinéma, hors film d’animation, on aura une rencontre avec Émilie Tronche autour de sa série Samuel. C’est de la jeune création hyper en lien avec tout ce qu’on propose, c’est génial. On est très contents qu’elle vienne. On ne se cantonne pas qu’à la bande dessinée, on montre le dessin sous ses différentes formes, avec un accent sur la bande dessinée parce que c’est ça la ligne, mais on s’autorise à aller voir un peu tout autour ce qui se fait. La plupart des auteurs maintenant touchent un peu à tout : du film d’animation, de la littérature jeunesse, des travaux de commande presse, c’est tellement vaste.
Les expositions que vous présentez sont toutes des créations ?
Oui, c’est un bon défi aussi. On n’est pas une très grosse équipe, on est quatre pour faire les deux festivals, Press play et la BD. On a de la chance de travailler avec des super co-commissaires qui nous aident sur les créations, et on tient à prendre le temps de travailler les expos et de proposer des choses qu’on ne retrouve pas forcément dans tous les festivals, qui sont vraiment estampillés Colomiers.
Il y a plusieurs expositions monographiques, mais aussi Cohabiter avec le vivant, une exposition collective qui s’inscrit dans votre démarche globale
Exactement, sur toutes les questions autour de la transition écologique. C’est le Pavillon blanc, une médiathèque centre d’art qui tous les ans accueille les expositions BD, qui a eu cette idée de faire travailler Jérémie Moreau et Marine Schneider avec l’artiste d’art contemporain Tiphaine Calmettes. Donc c’est un mélange BD, illustration jeunesse et sculpture en terre, c’est l’originalité de cette proposition sur la question du vivant, de regarder dans ce qui se crée aujourd’hui s’il y a peut-être des solutions pour demain.
Est-ce que vous pouvez nous parler des auteurs que vous allez recevoir cette année ?
Cette année on est vraiment ravi parce qu’on fait une exposition rétrospective sur la maison d’édition québécoise Drawn & Quarterly, et donc on aura quelques-uns de leurs auteurs emblématiques, dont Chris Oliveros qui a monté la maison, et Seth, un auteur qu’on ne voit pas souvent en France et en Europe. Dans notre veine plus jeune création on aura Aude Bertrand qui qui publie son premier album cette année aux éditions 2024, Mirion Malle qui est assez connue, l’autrice allemande Anna Haifisch, dont on adore le travail dans l’équipe… c’est un bon mix entre des auteurs indés d’une génération qui ont dans les 40-50 ans qui ont ouvert la voie comme Gilles Rochier ou Fabcaro, et des tout jeunes qu’on ne connait pas encore forcément. C’est ce bon équilibre-là qui que l’on cherche. Et sur les stands il y aura environ 200 auteurs. Tout le monde est curieux de découvrir cette nouvelle édition du festival.
Visuels :
1-affiche du festival BD Colomiers 2024
2- Amandine Doche
3- Au travers du rayon © Aude Bertrand
4- Drawn & Quarterly
5- © Marine Schneider
6- Rencontre créative_Sarah Cheveau
7- © Emilie Tronche, Samuel