Transgénose d’Emmanuel Lesgourgues, une anatomie des formes invisibles

Dans l’univers d’Emmanuel Lesgourgues, la matière se dérobe, les corps se contorsionnent, et le vivant se rêve autrement. On entre dans cette exposition comme on pénètre un écosystème inconnu : un monde où la matière semble vivante, en perpétuel devenir, où les formes prolifèrent comme des cellules en mutation. Emmanuel Lesgourgues déploie ici un travail au long cours, commencé il y a près de vingt ans, où chaque série vient nourrir la suivante, inscrivant ainsi dans une vision de la création comme processus vivant, entre intuition et accident, entre science et poésie.

La Genèse du geste

Derrière la série Transgénose, il y a une quête, presque biologique, du surgissement. Emmanuel Lesgourgues, formé au design, a très tôt glissé du fonctionnel vers l’organique. « Son travail plastique va se développer principalement autour du dessin, déclinant des thèmes organiques, des univers cellulaires féconds ou modifiés… » observe Jean-Claude Thévenin, commissaire de l’exposition. La série initiale Desseins (2005), à la fois carnet de formes et laboratoire d’inventions, devient le socle d’un langage graphique. Des fragments, découpés et réassemblés, amorcent les mutations visuelles que l’artiste ne cessera de creuser.
Des titres comme Hydroponie, Biostasie ou État intermédiaire jalonnent un parcours où les références à la biologie et à la génétique signalent une obsession : dire l’invisible du vivant. « Emmanuel Lesgourgues développe depuis toujours un travail artistique autour des « formes du visible » dans une recherche sur l’invisible. » ajoute Emmanuel Bouvet, directeur de la galerie 24b.

Transgénose 4, terrain d’hybridation

La quatrième itération de Transgénose, présentée à la galerie 24b, radicalise les principes de transformation de la démarche de l’artiste. La peinture devient ici matrice de corps éclatés, d’épidermes étirés. Chaque surface est travaillée comme une peau vive : à travers des strates fines d’huile, l’image glisse vers une chair d’images. « Une sorte d’infinitude se développe dans ses constructions sur le mode d’excroissances cellulaires biologiques… » explique Jean-Claude Thévenin. Le geste maniériste n’est jamais loin. Les formes s’allongent, se tendent, se fondent. On y retrouve l’esprit d’Hendrik Goltzius ou de certains corps tordus du maniérisme flamand.

« Ces formes maniérées issues d’organismes invertébrés résultent de la poussée de forces intrinsèques aux corps eux-mêmes… » souligne le commissaire de l’exposition.

Transgénose 5, une approche volumique et organique de l’aléatoire

Dans la série Transgénose 5, le travail se déplace du pictural vers le sculptural. La matière y est moins contrôlée, plus instinctive. Des injections de mousse polyuréthane dans des ballons de baudruche produisent des formes imprévisibles. « L’aléatoire, la déformation de la matière due à la procédure technique elle-même, nous donne la sensation de ne connaître aucune limite,… » commente Jean-Claude Thévenin. Les sculptures semblent surgir d’elles-mêmes. Elles flottent, entre effondrement et suspension. Leur croissance, proche du vivant, est pourtant purement physique, dictée par les propriétés de la mousse. C’est cette part d’incontrôlé, de biologie du hasard, que l’artiste embrasse.

Penser l’art comme une biologie de l’image

Transgénose n’est pas une série, mais un organisme. Chaque étape en est une mutation. Chaque image, une cellule en division.« Les sculptures d’Emmanuel Lesgourgues portent en elles des traits esthétiques du Maniérisme. Leurs formes sont issues d’équilibres fragiles, parfois produites par « accident », toujours par croissance aléatoire,… » résume Jean-Claude Thévenin. Ainsi l’artiste dessine un monde non figé. Un monde où les forces vitales – visibles et invisibles – sculptent la matière, comme le temps sculpte la mémoire.Emmanuel Lesgourgues ne peint pas le monde. Il le recompose, comme un biologiste fou de formes, un alchimiste du sensible. Transgénose est moins une série d’œuvres qu’un organisme mouvant, un chant cellulaire dans la langue mystérieuse de la matière.