Sous les lumières envoûtantes de Venise, l’air est vibrant d’anticipation et de curiosité. Le printemps est bel et bien arrivé, et avec lui, des vernissages d’envergure qui résonnent dans l’architecture historique de la ville : Généalogies de Thomas Schütte à la Punta della Dogana et La vie étrange des choses de Tatiana Trouvé au Palazzo Grassi.
Par Vanessa Trigano
« Généalogies » de Thomas Schütte marque le retour éclatant de l’artiste sur l’île vénitienne vingt ans après avoir reçu le Lion d’or en 2005 pour sa participation à la 51eme Biennale de Venise.
En entrant à la Punta della Dogana, le regard est immédiatement attiré par les formes imposantes et les couleurs éclatantes des sculptures de Thomas Schütte. L’exposition, un véritable kaléidoscope artistique, dévoile près de cinquante sculptures et une centaine de travaux sur papier, révélant ainsi l’évolution d’un artiste qui, depuis les années 1970, invente et réinvente la figure humaine. Les accents chromatiques des œuvres, qu’il s’agisse de compositions plus abstraites ou de portraits évocateurs, s’entremêlent pour créer une discussion vivante autour des thèmes universels de la condition humaine.
«Lors de nos premières rencontres, dans son atelier, à Düsseldorf, il y a bien longtemps déjà. J’avais alors été frappé par son ironie et sa manière d’assumer l’héritage de la tradition académique ; j’avais été impressionné par la relation particulière qu’il entretenait avec l’idée de la mort et ses représentations et saisi par sa sensibilité à toutes les fragilités de l’âme » (François Pinault -extrait du catalogue)
D’un coup d’œil, on reconnaît les silhouettes d’hommes et de femmes, figées dans une ironie poignante qui interpelle le spectateur. En s’approchant des sculptures, on distingue les détails, les transformations subtiles qui témoignent d’un dialogue constant entre l’artiste et son matériau. Les couleurs se répondent, s’opposent, vibrent et apaisent dans un ballet sensoriel, révélant une profondeur d’émotion que seul un maître de son art peut capturer. Comme le souligne avec justesse les commissaires de l’exposition, Camille Morineau et Jean Marie Gallais, ces œuvres engendrent une réflexion incisive sur l’héritage et la fragilité de l’âme, nous invitant à questionner notre rapport au monde.
À quelques pas de là, au Palazzo Grassi, l’univers de Tatiana Trouvé nous attend. Le commissariat de cette première grande monographie de l’artiste en Italie est assuré par Caroline Bourgeois et James Lingwood, en étroite collaboration avec l’artiste.
Dès l’entrée, on est frappé par l’atmosphère vertigineuse de son exposition « La vie étrange des choses». Les œuvres s’animent, évoquant un labyrinthe où le tangible et l’imaginaire se confondent. Les sculptures se dressent, les dessins flottent, tandis que l’écho d’événements récents s’imprègne dans chaque pièce.
Tatiana Trouvé joue avec les limites de la perception, mêlant souvenirs et projections dans des compositions qui transcendent le temps. À travers ses œuvres, elle rend hommage à des cultures lointaines et à des systèmes de connaissance alternatifs, transformant le Palazzo en un véritable voyage entre passé, présent et futur. Les détails intrigants des sculptures, les matériaux hybrides – marbre, verre, chanvre – s’entrelacent pour former un écosystème riche en émotions.
L’un des points forts de l’exposition est la présence de pièces inédites, fruits d’une réflexion sur les révoltes et les traumatismes mondiaux. Chaque œuvre est une invitation à explorer ces récits cachés, tandis que l’atmosphère lourde de la pandémie et des troubles contemporains s’impose avec une force viscérale. C’est une symphonie d’objets qui se dévoilent dans un dialogue incessant, où les formes et les images jouent à cache-cache, entraînant le visiteur dans un tourbillon d’émotions.
En poursuivant notre promenade, il est fascinant de constater comment ces deux artistes, issus de systèmes bidimensionnels et tridimensionnels contrastés, offrent chacun à leur manière une vision unique de la réalité. Thomas Schütte, avec son langage sculptural ancré dans l’essence de l’humanité, et Tatiana Trouvé, qui ouvre des portes vers des mondes intérieurs labyrinthiques, nous interrogent sans relâche sur les récits que nous portons, ainsi que sur notre place au sein de ces narrations.
À l’approche de ce week-end ensoleillé, un autre symbole remarquable heureusement accroché aux portes de la ville attire notre attention : le drapeau breton, hissé fièrement à la douane. Ce geste évoque non seulement la présence de François Pinault sur l’île, mais également un dialogue transculturel, une invitation à réfléchir sur le rôle des racines dans la création artistique. Cela nous rappelle que l’art est un langage universel, tissé de fils qui relient les différentes cultures et identités, tout comme le drapeau breton nous connecte à la Bretagne tout en s’ancrant dans le cœur vibrant de Venise.
Alors que le soleil se couche au lendemain des vernissages, et que l’écho des conversations passionnées flotte dans l’air, l’on quitte la place Campo Santo Stefano avec une nouvelle lumière dans les yeux. Chaque œuvre visitée ce jour-là, qu’elle soit une sculpture vibrante, un rêve visuel ou un souvenir tangible, a tissé un fil entre le spectateur et l’artiste, projetant des ombres et des lumières dans l’esprit. Une thématique universelle d’humanité, d’introspection et de créativité s’épanouit ici, et l’on se prend à rêver des influences de l’art et de la beauté des choses à travers le prisme de ces expositions.
Il ne reste plus qu’à vous rendre là-bas et découvrir par vous-même ces univers captivants, alors que Venise, au crépuscule, scintille.
Thomas Schütte. Généalogies, 06.04.25 – 23.11.25, Punta della Dogana
Tatiana Trouvé – La vie étrange des choses, 06.04.25- 04.01.26, Palazzo Grassi
Rendez-vous le 6 avril pour l’inauguration de la fondation privée de Laurent Asscher, AMA Fundation.