Pour célébrer le bicentenaire du naturaliste Jean-Henri Fabre, le Grenier à sel avignonnais présente jusqu’au 22 décembre 2023 une exposition conçue par la directrice de cet espace culturel classé monument historique, Véronique Baton, à base de créations actuelles, d’herbiers, d’ouvrages scientifiques et d’archives du passé.
Que nous disent les plantes et qu’inspirent-elles aux artistes d’aujourd’hui sont deux des questions que pose la belle exposition qui occupe plusieurs salles et niveaux du bâtiment médiéval transformé au milieu du XVIIIe siècle par l’architecte Jean-Ange Brun. Les approches qui guident leur travail sont l’éloge de la beauté, la célébration de la vie, la volonté de préserver la biodiversité et de se « reconnecter avec la nature ». Le sujet est noble et vaste et il a fallu écarter un pan de l’histoire de l’art et quantité d’artistes qui l’ont abordé : l’art musulman, abstrait, iconoclaste, l’art nouveau – les volutes architecturales d’un Horta, les affiches publicitaires de Mucha, les danses serpentines de Loïe Fuller -, les pommes pré-cubistes de Cézanne, les jardins surréels d’Henri Rousseau, le mobilier Thonet, les feuilles mortes en pierre sarde de Sciola, le faux tronc d’arbre tout en bronze de Penone…
L’expo d’Avignon est remarquable par la variété des supports, des moyens utilisés, des effets obtenus par le dessin, la sculpture, l’installation, la vidéo et l’intelligence artificielle. Paradoxalement, les œuvres retenues sont proches et lointaines des herbiers d’autrefois. Hommage est rendu à Jean-Henri Fabre, directement, avec une vitrine contenant trois dessins de sa main et des herbiers de contemporains comme Armand Lepeltier. L’Atlas racinaire des années 60 fait écho à cette vision de l’art qui fait la part belle à la science. Dès lors, nul n’est étonné qu’un artiste comme Valère Costes réalise ses images de synthèse et ses herbiers avec le CNES (cf. Disparues, 2020 et Extrapolation for Space Agriculture, 2021-22); que Jérémy Griffaud compose avec la réalité virtuelle pour approcher du sujet dans The Origin of Things, POWERPLANT (2022); que Donatien Aubert mette en scène ses Disparues (2020) et ses jardins cybernétiques-Chrysalides (2020) éclairés à la lumière crue ; que Laurent Pernot mette sous cloche un bouquet floral comme Our endless love (2021); que Betty Bui fasse palpiter via le morphing les feuillages de ses Respirations (2001) pris en vues fixes.
Sous une forme ou sous une autre, sous influence animiste, rousseauiste, romantique ou, plus prosaïquement, écolo, la nature fait retour, dessinée ou recréée de toutes pièces par Fabrice Hyber (cf. le documentaire La Vallée, 2022, de Karim Hapette et Michael Huard); scénographiée par Sabrina Ratté dans son installation Floralia (2021); représentée de façon très concrète – comme la musique du même nom – par des éléments en deux et trois dimensions, des objets et des signes, des images et des sons dans Forêt résiliente (2021-2023) de Benjamin Just; fixée photographiquement en un noir et blanc calciné par Thierry Cohen dans un tirage de sa série Carbon Catcher #20 (2018); projetée sur une gigantesque et spectaculaire toile de fond bigarrée de motifs saturés d’on ne peut plus haute définition ayant pour titre Meta-Nature IA (2023) de Miguel Chevalier.
Nous avons été particulièrement sensible à des œuvres du passé comme les cinq magnifiques planches photographiques de Karl Blossfeldt tirées des Formes originelles de l’art (1928); au film du pionnier français du cinéma scientifique, le Dr Jean Commandon, La Croissance des végétaux (1929), que la jeune chorégraphe Madeleine Fournier a intégré à sa pièce Labourer (2018); à l’extrait du long métrage produit par le groupe chimique allemand BASF (capable du meilleur : de la bande magnétique de nos cassettes et mini-K7 d’antan, comme du pire : de la production en quantité du Zyklon B breveté par Walter Heerdt pour la firme Deguesch) et réalisé par Max Reichmann, Das Blumenwunder / Le Miracle des fleurs (1926) qui, dix ans avant Busby Berkeley, associe de manière surréaliste croissances et excroissances végétales, accélérés et ralentis cinématographiques et mouvements de danse – en l’occurrence classique et pantomime plus ou moins expressionniste. Nous avons fort apprécié deux œuvres contemporaines, signées du pseudo (sans majuscule) trouvé au hasard de l’IA, aurèce vettier : Bitter-hemp (2022), un groupe sculptural en bronze et areal.collect (2021), une peinture à l’huile, certes, mais aidée par l’intelligence artificielle. Et la finesse artistique.
Jusqu’au 22 décembre au Grenier à Sel à Avignon
Visuel :
Benjamin Just
Forêt résiliente
© Grégoire Édouard.