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Retour à l’école avec Mircea Cantor

par Katia Bayer
19.11.2024

Depuis début novembre, la galerie Nathan Chiche, ayant ouvert il y a quelques mois à Vantoux, dans la banlieue de Metz, accueille pour sa nouvelle et deuxième exposition seulement l’artiste roumain Mircea Cantor, avec comme intitulé « L’école des Mondes ». Une proposition artistique intelligente, mais aussi une invitation au voyage, une exploration de l’intime et une redéfinition des frontières.

En toute discrétion, annoncé seulement par des panneaux « École Jean Prouvé » et « Galerie Nathan Chiche », le lieu se trouve en haut d’une colline, entourée de petites maisons pavillonnaires avec piscine d’un côté, poules et, paraît-il, bouc à une dent de l’autre. La galerie a pris ses quartiers dans une ancienne école qui interpelle les chauffeurs de taxi déposant les visiteurs et journalistes. « Ah bon, c’est une école ? », s’étonne l’un. « Vous savez, j’ai été à l’école ici. C’est moi qui ai planté l’arbre qui est face à la salle de classe » annonce l’autre. Nathan Chiche n’en est pas aussi sûr : l’arbre a été planté récemment.

P comme Prouvé

L’école en question a été conçue par l’architecte Jean Prouvé, en seulement 2 semaines par 2 ouvriers, et choses étonnante : elle est entièrement démontable tout comme une autre école, créée par l’architecte, à Bouqueval, dans le Val-d’Oise. Pendant longtemps, de 1950 jusqu’en 2014, l’école de Vantoux a accueilli les élèves du coin, un peu à l’image du film Être et avoir (2002) de Nicolas Philibert où les enfants de tous âge, à Saint-Etienne-sur Usson (Auvergne), se mélangeaient dans une seule et même salle de classe. C’est un peu la même idée qui a régné dans cette école de Vantoux. Depuis, l’espace a été classé monument historique et appartient aujourd’hui à la mairie de Vantoux. Jusqu’à ce qu’un jeune galeriste, Nathan Chiche, remporte l’appel à projets de la mairie, et transforme l’espace en un lieu d’art, tout en restant proche du projet de Jean Prouvé.

Ce projet, c’est quoi ? Dès l’arrivée, on est intrigué par ce lieu ne ressemblant pas à un musée ni à une galerie classique. Une série de petits hublots, marqués dans le bois, laissent entrer de la lumière là où on ne l’attend pas, les salles de classe étant, comme on le sait, généralement fermées et séparées par des cloisons. Cette même lumière circule librement et joyeusement dans l’espace, notamment grâce à la hauteur de plafond de l’école (3, 20 m) – on est sur une hauteur bien plus haute que les standards de l’époque – et à ses grandes portes-fenêtres transparentes, s’ouvrant sur la nature environnante. On est en pleine campagne et le béton de la ville de nous manque pas, mais alors pas du tout ! Outre la lumière, le calme occupe une place de choix dans l’espace, subdivisé en une large pièce qui faisait office de salle de classe, et en une plus petite qui servait de réfectoire.

Dans cette galerie, le projet de Nathan Chiche est de permettre à un artiste invité de proposer sa propre vision tout en s’imprégnant du style de Jean Prouvé. Un dialogue, un écho s’installe entre les deux. Si l’art s’approprie la galerie, l’école n’est pas loin, à en juger par les petits porte-manteaux à l’entrée et un pupitre blanc, résidu de l’époque et de l’exposition précédente, maintenu par l’artiste Mircea Cantor, mis en avant en ce moment avec son exposition « L’école des Mondes ». Si Prouvé est français et architecte, Cantor est roumain et artiste. Si ce dernier est plus familier d’espaces plus vastes, d’événements et de villes plus identifiés, l’offre de Nathan Chiche lui a tenu à cœur tant ses œuvres et propres souvenirs prennent joliment forme dans le lieu et son projet de transmission. Sur le pupitre déjà, se trouve l’affiche de la présente exposition, exécutée à l’encre de chine. La calligraphie est belle et pour la voir, il faut faire quelques pas.

Il y a plein d’œuvres qui nous parlent dans cette exposition et c’est très agréable d’entendre l’artiste les commenter, un artiste qui ne se réfugie pas derrière des phrases incompréhensibles, des poses et des codes propres à l’art contemporain. Vu qu’on est toujours tenté de regarder vers l’extérieur, transparence oblige, on remarque l’arc-en-ciel coloré peint à même la fenêtre de la galerie, et marqué par des empreintes de pouces. Ses couleurs sont joyeuses, primaires, elles rappellent bien entendu l’école, les dessins à même le mur ou encore le pupitre installé dans la pièce. On l’apprend, l’empreinte est importante dans l’œuvre de l’artiste. Patricia Chiche, mère de Nathan Chiche et galeriste elle-aussi, commente : « Quand Mircea se rendait aux États-Unis, on lui demandait une empreinte, après le 11 septembre. Comme son ADN est public, autant le démultiplier et le laisser voir à tous ». L’intéressé renchérit : « L’ADN, c’est ce qu’il y a de plus intime. J’ai voulu faire corps avec le bâtiment et cela me permet de poursuivre le dialogue avec Jean Prouvé ».

Un état du monde

Ce qu’on aime aussi beaucoup dans cette exposition, c’est l’ABCdaire en roumain de l’artiste, représenté sur 24 feuilles de papier, rappelant encore et toujours l’enfance mais aussi la calligraphie utilisée sur le carton de présentation. Chaque lettre est associée à un élément qui commence par celle-ci. Mircea Cantor va plus loin : « On apprend l’alphabet par un mot et inversement. Je redessine l’alphabet en fonction de mes obsessions sur le monde. Ce monde, il m’habite et vice-versa ». Sur ces feuilles, il représente des choses très simples mais essentielles comme l’abeille (« AA ») ou le bison (« ZZ »). L’artiste aimerait mettre en place un workshop avec des enfants qui dessineraient chacun leur alphabet, en fonction de leurs propres cultures et propres mots. Histoire que le dialogue et l’apprentissage se poursuivent et que les enfants deviennent créateurs à leur tour.

Les cartes du monde, réalisées à la suie de bougie, nous intriguent elles aussi. Elles représentent la Roumanie, la France, la Grande-Bretagne, le monde. Forcément, elles renvoient, elles aussi, aux cartes affichées dans les salles de classe. L’artiste explique que le monde appartient à ceux qui le mettent à feu, à ceux qui le font vivre, à ceux qui l’allument. Il voit la combustion comme de l’encre, tout en veillant à ne pas brûler le papier qui fait office de support. « Cela peut faire penser au monde qui prend feu. Le feu n’est pas juste destructeur mais est aussi créatif », explique-t-il. Ses premières cartes, il les a retrouvées chez sa mère, il les a réalisés à 22 ans quand il était encore étudiant à l’université d’art et d’esthétique de Cluj-Napoca, en Roumanie. Ce qui est intéressant dans son approche, c’est qu’il utilisait déjà l’empreinte de la bougie comme un moyen d’expression, d’expérimentation, qu’il s’intéressait sans forcément le conscientiser à la notion de territoire. L’un de ses professeurs à l’université lui avait enseigné qu’il fallait s’inventer des techniques, pas juste se baser sur ses connaissances, et qu’il fallait que les gens se demandent comment les œuvres étaient faites pour piquer leur curiosité et laisser parler leur imagination. Il ajoute : « On peut se procurer des crayons et être artiste. L’artiste, ce n’est pas juste s’acheter des couleurs et des toiles. L’artiste peut faire de l’art, même si il n’a rien dans le sens classique du terme ».

Forcément, Mircea Cantor s’interroge sur l’état du monde, sur la notion de territoire, de frontière. Sur ses cartes de France et de Grande-Bretagne par exemple, « il n’y a pas de frontière exacte à l’opposé du politique. L’art, c’est l’opposé : on ouvre les frontières. La notion de territoire est très récente, elle est liée aux gens, à la circulation, au mouvement ». Quand il a commencé à travailler sur ses cartes, la situation n’était pas aussi tendue qu’aujourd’hui, du coup, ces travaux intriguent au vu de l’actualité. Qu’y cherche-t-on finalement ? Un repère, une assurance pour la suite ?

Film Flamme

En quittant la salle de classe, on accède à une bibliothèque et à une salle de cinéma. En tant qu’artiste pluridisciplinaire, Cantor s’intéresse aussi au médium cinéma. « Dans un film, des sons peuvent être plus forts que si on regarde une sculpture. Les matières qu’on emploie peuvent transcender un message ». Son film, Fire Doina, diffusé pour la première fois en France, est un court-métrage (4’50’’) également visible sur son compte Instagram. Un homme en habits militaires, assis dans la forêt, joue une mélodie-douceur avec sa flûte en bois (« koval »). Cet air, apprend-on, fait partie du patrimoine immatériel de la Roumanie. Tout au bout de l’instrument, une flamme grimpe doucement, le musicien risque à chaque note de se brûler les doigts en jouant et pourtant, il ne s’arrête pas de jouer. Ce petit film, tourné par Murcea Cantor en mai 2022, quelques mois après le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’a interrogé sur la créativité en temps de conflit. « Tout brûle autour de toi, mais l’artiste continue de créer. Même si tes instruments brûlent, tu peux faire de l’art. L’artiste peut créer même si il n’a rien. Quelle chance as-tu face à une arme ? Si la guerre est là, tu n’es pas perdu en tant qu’artiste car ton art te survivra ». Cela nous fait forcément penser à ce que lui a dit son professeur quand il était encore étudiant. Cantor poursuit : « Quand la guerre avec l’Ukraine a éclaté, le pavillon russe a fermé à la Biennale de Venise, les artistes ne pouvaient pas créer. Les gens ne voulaient plus non plus montrer Tchekhov au théâtre. On ne peut pas arrêter de créer à cause des soucis de territoires. A l’est, pendant le communisme, les artistes devaient être subversifs, trouver des moyens d’expression inédits pour continuer d’exister. Comme quoi, c’était possible de faire avec rien ».

On est plutôt en accord avec lui. En refaisant un tour dans l’espace, on se sent à nouveau attiré par les hublots de Prouvé, la hauteur de plafond, l’harmonie dans l’espace, le pouvoir de la transparence, l’énergie procurée par la lumière, le jeu des échelles et la diversité des matériaux. Notre conception de l’école aussi finalement est revue, et c’est peut-être aussi là, le pouvoir de l’art : déprogrammer le cerveau, apprendre à voir. Si on plus, on reconsidère nos premières années, c’est plutôt bien parti ! Dans un sourire, Cantor a ses mots de fin : « C’est une école, il faut que la lumière entre, c’est bien pensé, orienté sud. Pravé a réussi à combiner vies sociale et intime. On circule facilement dans l’espace. On ressent l’ouverture voulue et on a l’impression que les murs sont repoussés pour gagner le plus d’espace possible ».

Katia Bayer