Écrans

« Vicenta B » de Carlos Lechuga : une prêtresse vaudou à Cuba

par Nicole Gabriel
26.09.2023

Vicenta B est le troisième long métrage du cinéaste cubain indépendant Carlos Lechuga dont le précédent, Santa y Andrès, a été purement et simplement interdit par le régime en raison de sa causticité et de son allusion à l’homosexualité. La protagoniste de ce récit est une femme noire d’une grande beauté, habitant une bourgade en bord de mer. Son fils, un jeune homme de vingt ans, se prépare à quitter le pays en quête d’un avenir meilleur…

La santería

Vicenta pratique la santería, un culte caribéen proche du vaudou qui mêle la religion catholique à des éléments d’animisme venus d’Afrique. La première scène du film s’ouvre sur une séance avec la prêtresse Vicenta qui implore la Vierge de la Charité, patronne de Cuba, pour conforter une métisse venue la consulter. Pour le rituel, une bougie est allumée, plusieurs verres d’eau sont disposés sur la table ornée de fleurs. On ne voit d’abord que les mains des deux femmes. La voyante demande à la consultante de couper un jeu de cartes ; elle en étale une dizaine, les retourne une à une, les examine et commente avec calme la donne. Elle met en garde et rassure la cliente à la fois. Ces séances se renouvelleront dans la première partie du film dans le clair-obscur de l’appartement.

Suit une scène avec Vicenta et son fils couchés tête-bêche dans un hamac. Le jeune homme installe l’application WhatsApp sur le smartphone de sa mère. Cet objet magique leur permettra de communiquer au-delà des frontières. À l’aéroport, le nombre de jeunes garçons et filles en partance est impressionnant. Vicenta rentre chez elle et semble désorientée, comme si elle découvrait ce lieu. La caméra la suit désormais dehors, dans une lumière crue. À plusieurs reprises, luttant contre la solitude et le désarroi, elle tente de joindre son fils, mais n’y parvient pas…

La Dépossession

La situation de Vicenta ne s’arrange pas avec son échec cuisant vis-à-vis d’une jeune fille désespérée qu’elle ne parvient pas à calmer et qui finit par se suicider. Elle culpabilise, consciente d’être restée sourde à ses plaintes. Commence alors pour elle une véritable descente aux enfers. Elle, jusque-là si sûre de ses dons, respectée de tout le village, admirée comme une sainte, est saisie de doutes existentiels. Elle tente à son tour de se sortir de la poisse en allant consulter une consœur, la dénommée Tata.

Ce médium la rassure en lui lui retraçant l’histoire de leurs croyances à partir de la traite à Cuba, de ses victimes, des nombreux suicides des Africains, mais aussi de ceux qui ont tenu bon grâce à leurs dieux et à la nature. Vicenta B ne présente aucune critique politique explicite. La détresse morale estompe la misère d’un peuple en quête de salvation. Les femmes assurent une certaine continuité, comme en temps de guerre. Le film, sans folklorisme aucun, est avant tout un magnifique portrait de femme, avec sa douceur et sa détermination, superbement interprétée par Linnett Hernandez.

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