« L’Amour fou » de Jacques Rivette ouvre Cannes Classics

Tourné à Paris en 1967, nous glissant dans le quotidien d’un couple et d’une troupe, L’Amour fou est une mise en scène lancinante de la crise existentielle que Claire (Bulle Ogier) traverse et fait traverser à son couple. Alors qu’elle joue Hermione dans Andromaque de Jean Racine, elle quitte soudainement les répétitions, a du mal à revenir, dit avoir besoin de solitude et s’enferme à la maison. Si bien que son compagnon, qui travaille aussi sur la pièce, donne le rôle à son ex…

Une restauration magistrale

Après l’évènement de la restauration de La Maman et la Putain de Jean Eustache (1973), présentée à Cannes l’an dernier, les Films du Losange poursuivent leur œuvre de lifting merveilleux des bijoux de la Nouvelle Vague. Alors que le film a été tourné en 16 et 35 millimètres et que le 35 a brulé dans un incendie, réalisée avec des archives d’époques et orchestrée par Caroline Champetier, cette reconstitution majestueuse en 4K nous plonge dans l’image sublime et la langueur si saisissante du film originel. Le va-et-vient des plans entre la scène de théâtre filmée sous tous les angles et la maison en fatras qui semble converger vers un lit terrorisant sont de grandes et belles chorégraphies. Et le sublime de cette lancinante reconstitution des 4h15 de film est que même les images manquantes paraissent participer au ballet. Enfin, le son est maître, à la fois naturel et princier, entre confidences chuchotées et bruits de rue où à peine une pointe de musique grincée est utilisée. L’intérieur et l’extérieur s’y opposent pour mieux marquer les contours d’une intimité folle.

« Ne puis-je savoir si j’aime ou si je hais »

Film « préféré » de la grande Bulle Ogier – absolument sylphide et magnifique dans ce film – qui est venue L’Amour fou à Cannes, ce chef-d’œuvre de la Nouvelle vague nous plonge dans l’intimité d’un couple et surtout d’une femme qui sombre(nt) dans le sentiment existentialiste de « la nausée ». L’ironie d’utiliser le titre d’une œuvre phare du surréalisme pour braquer sa caméra sur un couple en train de faire ses tartines finit par s’envoler dans un sable mouvant de jalousie, de peine et de désir. Impossible de pénétrer dans la peau l’un de l’autre. Un enfermement magnifique, que la fin urbaine vient décapiter à grands renforts de cris d’enfants. François Truffaut disait de L’amour : « C’est à mon avis – et je crois que ce sera celui de beaucoup – l’une des cinq ou six plus belles œuvres de la Nouvelle Vague ». Cela vaut la peine d’aller voir cette version restaurée.