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Frédéric Hocquard, président de la FNCC, sur les coupes budgétaires du ministère de la culture : « On est inquiet sur les dégâts que ça va avoir sur les territoires »

par Julia Wahl
13.04.2024

Le Congrès 2024 de la FNCC (Fédération nationale des collectivités pour la culture) vient de s’achever. Son président, Frédéric Hocquard, a évoqué les grandes questions débattues durant ces deux jours, notamment celle des coupes budgétaires du ministère.

Pouvez-vous nous présenter rapidement la façon dont le congrès a été mené et quelles étaient, outre la question de la baisse du budget de l’État en faveur de la culture, les urgences soulevées ?

 

Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas fait de congrès, le dernier datant de 2017. C’était donc d’abord un temps de retrouvailles des adhérents de la FNCC autour de sujets, certains urgents comme la question du budget, et autour de l’idée que la vocation de la FNCC, c’est de porter une parole collective sur les questions de culture. Dans un moment de réflexion, de doute, de crise aussi, sur la question de la culture en France, c’est important que les collectivités territoriales aient une parole commune pour raconter et dire ce qu’elles font, les solutions qu’elles trouvent à tous les grands sujets comme la transition climatique, les droits culturels, etc. Bref, tous ces grands sujets qui touchent aussi la culture. On a d’ailleurs appelé notre congrès le « congrès des solutions » : on réfléchit ensemble et on trouve des solutions. La dernière chose, c’est aussi que la FNCC est une formation pluraliste sur le plan politique (la gauche et la droite) et une formation dans laquelle on cherche à fabriquer du commun. Or, on est quand même dans une société qui ne fabrique pas de commun, qui renvoie les gens à leurs différences, parfois en les stigmatisant.

 

Pour en revenir à ce « congrès des solutions », lors de votre discours d’ouverture, vous aviez invité à une concertation entre l’État et les collectivités sur la question culturelle : avez-vous pu élaborer des pistes à ce sujet ?

 

On a fait des propositions, mais ce qui est vrai, c’est que, pour danser le tango, il faut être deux. Pour l’instant, l’État était représenté, mais il faut aussi qu’on puisse savoir ce qu’il pense de tout ce sur quoi on travaille. Nous, on souhaiterait faire des expérimentations dans le domaine de la culture, aller plus loin que le Fonds des initiatives territoriales. Est-ce qu’il y a des crédits du Fonds d’initiative territoriale qui ne sont pas seulement décentralisés, mais qui peuvent aussi être cogérés au niveau des territoires ? Est-ce que, comme le réclamait le rapport de la commission culture du Sénat en 2022, une partie des crédits du plan de relance pourrait être déconcentrée et cogérée au niveau des territoires et mieux répartie ?

 

Sur ces propositions, avez-vous des exemples un peu plus précis ?

 

Sur la question budgétaire par exemple, on demande à pouvoir faire, au niveau des territoires, des expérimentations budgétaires, comme sur la question de la taxe de séjour. Par exemple, ce qui a pu être possible sur la question de la taxe de séjour fléchée sur les transports pourrait être possible sur la question de la taxe de séjour fléchée sur la culture. Ça, ce sont des choses qu’on demande à expérimenter et à étudier. Il y avait des gens de la commission culture  du Sénat, en plus des sénatrices de tout bord, Sonia de La Provôté plutôt de droite, Macron compatible, et Karine Daniel, une sénatrice socialiste de Loire-Atlantique, et elles nous disent : « Nous, on veut bien se saisir de ce dossier-là au sein de la commission future du Sénat pour regarder par exemple avec Bercy comment on travaille pour desserrer l’étau sur les questions de fiscalité culturelle. »

 

Quelle réflexion avez-vous pu avoir sur l’annonce de la baisse considérable du budget du ministère de la culture ? Lors de la conférence de presse, vous aviez indiqué : « Nous ne viendrons pas compenser les baisses de l’État sur nos territoires ». Est-ce que c’est quelque chose qui a été discuté avec les autres membres de la FNCC ?

 

Ça a été affirmé de façon assez claire dans notre adresse. Non seulement on ne viendra pas compenser la baisse, mais, la deuxième chose, c’est que l’État ne vienne pas nous chercher sur nos dépenses publiques aussi. Puisque c’est aussi ce qu’a annoncé Bruno Le Maire, qu’il allait chercher à baisser les finances des collectivités territoriales. Sur les questions budgétaires, il faut qu’on trouve d’autres mécanismes de financement. On est également inquiet sur les dégâts que ça va avoir sur les territoires. Si on ne veut pas et qu’on ne peut pas compenser, et si l’État continue à baisser le budget, il y a quand même des chiffres qui reviennent du milieu culturel qui sont très inquiétants en termes de baisse du nombre de levers de rideau, de structures qui seraient obligées de mettre la clé sous la porte… Il y a des conséquences extrêmement dures.

 

Est-ce que la baisse des aides de l’État et la non-augmentation de celle des collectivités ne risquent pas d’inciter à une privatisation de la culture, en demandant notamment aux structures culturelles de développer davantage tout ce qui est ressources propres ?

 

La question de la privatisation ne touche pas tous les territoires. Oui, sur les territoires parisiens ce n’est pas très compliqué de faire de la location quand vous avez un théâtre ou une salle. Si vous êtes à Dole ou à Martigues, ça va être plus compliqué, donc ça renforce les inégalités territoriales. La deuxième chose, c’est qu’il devient plus compliqué pour vous de faire le travail pour lequel on vous subventionne. Quand on subventionne un théâtre, un musée ou une salle de spectacle, ce n’est pas pour que ce lieu fasse de la location, c’est pour qu’il fasse de la création, de l’action culturelle sur le territoire, qu’il fasse tout ça.

 

Y a-t-il un consensus au sein de la FNCC sur le risque lié au fait de demander aux structures culturelles de développer et d’augmenter des ressources propres ?

 

Il peut y avoir une nuance quant au niveau de ce qu’on demande aux structures, mais personne ne pense, à la FNCC, qu’il faut baisser drastiquement les aides et que ce sera compensé par d’autres ressources. C’est plutôt de l’ordre de la nuance que de la divergence.

 

Comment, pour une collectivité, tenir ensemble la question de la création et la question de l’ouverture à un public le plus large possible ?

 

Ça, c’est d’abord la question du « mieux produire mieux diffuser ». Nous, on est très partants sur le « mieux produire mieux diffuser ». On considère effectivement qu’il vaut mieux travailler à ce que les spectacles tournent plus, pas forcément qu’ils coûtent moins cher. On a cité plusieurs exemples comme la scène nationale du Jura ou l’opéra de Rennes qui tournent sur plusieurs endroits. Nous, on est très partant là-dessus. Ce qui est intéressant, c’est que les professionnels sont aussi partants là-dessus, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Après, il faut réfléchir à la façon dont on travaille à l’évolution de la production artistique. Cela touche plein d’endroits, cette question-là. Je vous en prends un : pourquoi y a-t-il une surenchère de spectacles dans le domaine du spectacle vivant ? Parce que si vous avez des aides à la création et que, pour calculer votre intermittence du spectacle, il faut que vous ayez d’abord des dates de jeu, ça va mécaniquement vous poussez à créer plus de spectacles. Si la transmission artistique ou les dates d’EAC [Education artistique et culturelle] sont mieux comptabilisées pour l’intermittence du spectacle, vous allez être moins poussé à faire tout le temps de la création et tout le temps du jeu. Ce sont aussi des mécanismes économiques qui sont en jeu ici. Globalement, on est pour une évolution du système, oui, bien sûr, mais ce qui est bien, c’est que maintenant les professionnels du secteur sont aussi pour une évolution du système.

 

Sur la question des disparités régionales, j’ai le sentiment que les grandes villes étaient particulièrement bien représentées au congrès de la FNCC. Avez-vous pu avoir des retours de communes de petite, voire de très petite taille ?

 

Les grandes villes sont aussi représentées à la FNCC, mais avant c’était moins le cas. Une des choses que j’ai faites pendant mon mandat, c’est de réintégrer aussi les grandes villes dans la FNCC, ou les régions qui y étaient moins présentes. Là, maintenant, vous avez la région Centre-Val de Loire, très impliquée, la région Nouvelle-Aquitaine, la région Bretagne… Elles étaient impliquées dans leur association de collectivités, l’ARF, maintenant elles sont beaucoup plus présentes.

 

Après, le discours qu’on porte, c’est pour les petits comme les grands. On avait cet après-midi un débat sur la question de l’espace public : que vous soyez dans une ville de 2 000 habitants ou dans une métropole, la sur-occupation de l’espace public, le partage de l’espace public, vos réglementations sont exactement les mêmes. Il y a donc quand même des éléments communs de ce point de vue-là. Dernière chose, pour ce qui concerne les collectivités les plus petites et rurales, elles ont une vraie difficulté, des problèmes d’ingénierie culturelle, elles sont très touchées par des choses qui ne se voient pas. Quand il y a des problèmes sur les festivals par exemple, on va tout de suite causer des problèmes sur les gros festivals. Mais la kyrielle et la myriade de petits festivals se voient moins.

 

Mais les petites collectivités ne sont-elles pas particulièrement touchées par la hausse des prix, notamment celle de l’énergie ?

 

Ce n’est pas mon sentiment : il y a peut-être un peu plus de débrouillardise à cet endroit et le maire fait autorité. Quand vous êtes sur une métropole, vous partagez plus l’autorité avec l’État que sur une petite collectivité où c’est le maire qui peut agir.

 

Vous avez évoqué en début d’interview votre désir de travailler de façon plus collégiale avec l’État, avez-vous déjà des propositions de rendez-vous à ce sujet ?

 

Non, on aurait souhaité avoir la ministre, qui n’est pas venue à notre congrès. On n’a pas de proposition de rendez-vous particulier : on va lui en faire et on va faire des demandes, notamment sur des sujets un peu urgents qu’on a abordés pendant le congrès, comme la question des Jeux olympiques. On a vu ça avec la fédération nationale des comités des fêtes, qui ont pas mal de difficultés, parce qu’ils disent qu’il y a encore des choses qui sont annulées à cause des Jeux. Ça, c’est assez urgent.

 

Sur le reste, il y a tout un dialogue qui est fait sur la question de la culture en milieu rural. Qu’est-ce qui accouche à cet endroit-là ? On a un peu du mal pour l’instant à saisir la manière dont la ministre veut engager le dialogue avec les collectivités territoriales. Elle a rappelé sa volonté de le faire. Elle est elle-même élue, elle connaît les collectivités territoriales. L’endroit sur lequel on veut amener le gouvernement, ce n’est pas simplement la déconcentration des crédits, mais la cogestion sur les crédits et les décisions. Je ne comprends pas pourquoi, dans ce pays, dans l’éducation ou le sport et dans plein d’autres domaines, il y a des systèmes de consultation des collectivités territoriales, maiqs on ne les met pas en place sur la culture. Dans le débat avec l’État, c’est la grande question que pose ce congrès, tout en gardant la libre administration des collectivités territoriales et des responsabilités partagées sur la question de la culture.

Visuel : Photographie de Frédéric Hocquard – DR