Émilie Peluchon vient de présenter son premier festival en étant à la tête du centre de développement chorégraphique national La Maison à Uzès. Rencontre sur la place Albert-Ier, entre deux spectacles et deux orages, un 9 juin.
C’est une drôle de question, car en réalité, ma formation de base c’est… le théâtre ! La littérature aussi. Pendant, les années 2000, j’ai eu un parcours de comédienne en formation. Je dois avouer qu’en tant que spectatrice, les esthétiques très formelles de cette époque ne me nourrissaient pas. J’ai trouvé dans la danse une respiration. Cela a été pour moi une évidence. Ce que je voyais m’énervait ou m’enthousiasmait. Ce n’était jamais neutre. Voir de la danse me rendait hyper vivante. Cela me rendait si heureuse que j’ai fait le choix de me tourner également vers la danse du point de vue professionnel. Je ne suis pas devenue comédienne pour travailler plutôt dans l’organisation du spectacle.
J’ai pris des cours de danse. J’ai commencé par le classique, puis du modern jazz, du contemporain, du hip hop, mais jamais dans un parcours professionnel. Je me suis mise à travailler pour la danse à l’instant où j’ai décidé de ne pas être comédienne. Ce qui m’attirait dans les œuvres, c’étaient qu’elles étaient vides de mots. Au-delà de la respiration personnelle que le mouvement m’apportait, il y avait cet enjeu professionnel supplémentaire de parler d’un art silencieux.
J’ai travaillé d’abord en stage dans des associations départementales. Elles étaient le bras armé des départements qui n’avaient pas de compétences culturelles et pas de politique à l’époque. C’était un réseau qui était vraiment encore très actif à l’époque. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Cela m’a complètement convaincue. Parce que c’étaient des missions qui touchaient autant à une dimension de relation entre les œuvres, entre les artistes, et entre tous les publics. Que ce soit sur des enjeux d’éducation artistique, de formation des enseignants et des danseurs. Cela touchait les pratiques amateur, de l’accompagnement, des artisans, de la création à la diffusion.
Ce qui était passionnant, c’était qu’il avait réellement toute la palette de ce que peut représenter le secteur chorégraphique qui était en jeu. Ensuite, j’ai travaillé en association départementale en tant que conseillère du côté de l’institution. J’ai travaillé en théâtre, j’ai travaillé en compagnie, en production, en diffusion, en projet européen, en relations publiques. J’ai aussi testé les métiers autour de la danse, mais à plein d’endroits différents.
En 2018, j’ai pris la direction de Danse Dense, une plate-forme d’accompagnement, de visibilité des artistes au début de leur parcours émergent. Pour moi, l’émergence, cela comprend les cinq premières créations dans un délai de trois ans. Cela voulait dire accompagner pour comprendre ce secteur, comment fabriquer son réseau. Comment fabriquer l’œuvre et comment en parler, comment la montrer. Il y avait des outils : des plates-formes professionnelles, un festival, des résidences, des actions avec les publics. Nous, nous étions là pour accompagner le geste, le façonnage et c’était merveilleux. Puis, au bout de quatre ans, j’ai eu envie de quitter l’Ile-de-France. J’avais le désir aussi de retrouver le secteur chorégraphique dans son entièreté. C’est-à-dire de voir comment les écritures émergentes entre en résonance avec des écritures confirmées.
L’accompagnement des auteurs au début de leur parcours reste central chez moi. Cela fait partie de mes convictions. C’est mon métier. J’ai une attention particulière aux créatrices et porteuses de projet. Quand on voit les manques concernant l’égalité hommes-femmes, je comprends que j’ai un rôle à jouer pour faire avancer les choses.
Le fil, c’est le plaisir de la danse. J’essaie d’interroger le plaisir d’être spectateur, spectatrice avec un jeu sur l’expérience notamment. Les pièces sont en bifrontal, en quadrifrontal, dehors… Il n’y a aucun quatrième mur à la Maison Danse. Cela veut dire aussi faire vivre des expériences de spectacle très différentes. D’accepter d’être aussi déplacé. Dans MAGDALENA, Chloé Zamboni et Marie Viennot déploient un intense travail de technique somatique. Cela frappe. De l’autre côté, la danse de Soa Ratsifandrihana va au plus près, elle est tellement chargée de l’énergie du public, de ce rythme qu’elle lève un petit doigt, qu’elle nous donne envie d’aller danser avec elle à la fin du spectacle.
Oui, il y a un sujet autour du territoire. Dans le Gard, il y a très peu de chorégraphes implantés et il y a une nouvelle génération pour qui il y a de l’espace ici. J’essaie de faire qu’elle vienne s’installer. Cela fait partie de mon projet de direction, et le département me soutient là-dessus.
Oui, et cela comprend de pouvoir accueillir, comme chez soi, des artistes en résidence. Pendant trois ans, nous accompagnions Marion Carriau. Je l’ai découverte en 2018, elle venait de créer Je suis tous les Dieux. Je lui avais alors offert une visibilité en Ile-de-France. Je lui avais proposé de travailler une forme adaptée in situ, en partenariat avec la maison Pop à Montreuil. Avec Magda Kachouche, qui était alors sa créatrice lumière, elles ont réinvesti cette pièce. Depuis, nous n’avons jamais cessé de travailler ensemble. Je l’accompagne depuis la création de Chêne centenaire où Magda danse désormais. Je suis relais, soutien, diffusion engagée… Je trouve qu’elles ont une manière de porter des valeurs à la fois humaines, à la fois artistiques, avec exigence. Leur engagement sociétal, écologique et féministe me parle à chaque endroit. Cette exigence artistique me touche.
Oui, cette relation végétale est très vite apparue. Par rapport aux propos de la pièce et c’est quelque chose je porte depuis des années. Quand j’étais conseillère danse dans le Val-d’Oise, j’avais initié de mettre de la danse dans les rendez-vous au jardin. Je passais une commande libre à un.e chorégraphe pour un espace patrimonial végétal du département.
Alors là, la majeure partie du festival se situe en plein air, mais je crois que ce n’est pas juste pour être en plein air. La Maison Danse n’a pas de lieu.
Non, il n’y a pas de lieu. Cette maison, elle danse un peu partout. Le projet est né du Festival d’Uzès qui est devenu CDCN et dans le cahier des charges des CDCN, il faut avoir un lieu de travail, un studio dédié aux artistes… La réponse a été de créer un studio mobile. C’est un parc de matériel qui permet d’équiper des lieux non dédiés partout sur le territoire. Par exemple des lieux désacralisés, des cinémas, des salles des fêtes…
Oui, j’ai une programmation de résidence et une programmation des œuvres. Qui dit présence artistique, dit aussi rencontre avec les publics, que ce soit un dîner, un atelier scolaire ou avec des personnes âgées. Par exemple, dans son projet, Marion Carriau veut laisser des métiers à tisser partout pour que l’on arrive à bout de ses trois ans à créer une canopée géante dans la ville. Je trouve ça très beau.
C’est exact, même si pour moi, il y a une grande maturité dans l’écriture chorégraphique dans tous les projets présentés. J’avais aussi envie de faire dialoguer le patrimoine de la danse et le patrimoine d’Uzès. L’événement Cunningham ou la visite guidée d’Ambra Senatore sont des bons exemples.
Prenons l’exemple de Chloé Zamboni. J’ai eu accès à l’écriture de leur premier projet grâce à mon travail dans le champ chorégraphique. J’ai pu ensuite voir les répétitions en studio. J’accompagne la création depuis le début. Dans le cas de Soa Ratsifandrihana, c’est une trajectoire différente. Je la connaissais comme interprète, et je l’avais donc identifiée. Nous devions l’accueillir à La Belle Scène Saint-Denis-Avignon, et cela n’a pas pu se faire. Mais, c’était parti, j’étais rentrée dans les processus de création avant que la pièce existe. Il n’y a pas une seule façon de découvrir. Il s’agit de repérer, de rencontrer un projet, de voir la clarté des intentions artistiques et chorégraphiques. Ensuite, les œuvres naissent. C’est mon métier aussi, d’accompagner les artistes, de l’intention à la réalisation qui rencontre le public.
Il y a du mouvement partout. Il y a un bal de clôture, mais aussi pas mal de pièces en déambulation. Regarder en marchant, cela désaxe ce que l’on voit. Cela modifie la perception des spectateurs.
J’ai été nommée le 31 mars, pour une prise de fonction officielle le 2 novembre, je n’ai donc pas eu le temps d’accueillir des créations. Il faut comprendre le temps que prend une création, entre la commande et sa réalisation, deux ans passent. Pour le festival 2023, j’avais vu toutes les pièces, je les ai choisies alors qu’elles étaient déjà en processus de création. J’ai envie de passer des commandes, de m’investir dans la création, cela fait partie de mes missions.
Visuel © Peter Avondo