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Rencontre avec Yoann Charbonnier, luthier à Marseille

par Cloé Assire
18.09.2024

De passage pour quelques mois à Marseille, la rédaction en a profité pour aller à la rencontre de ses artisan.e.s. Derrière les portes des ateliers phocéens, des savoir-faire, des gestes, des parcours, des hommes et des femmes qui se sont exprimés librement sur leur métier d’art respectif et leurs enjeux. Cult.

Il y a quelques mois, nous rencontriions un premier luthier marseillais, Michel Donadey. Si c’est une chaleur sèche digne d’un sauna qui nous accueillit alors dans son antre, c’est cette fois la délicieuse odeur du déjeuner mijotant dans l’arrière-boutique qui éveilla nos sens. Car ici, ce n’est pas seulement un atelier… Yoann, discret et réservé, nous fait découvrir les murs de sa vie, parsemés de guitares de toutes formes, de toutes époques. Des murs où l’histoire de la guitare s’offre à nous. Ma curiosité est attisée et de suite je comprends pourquoi je désirais rencontrer un second luthier : pour montrer qu’au-delà d’un savoir-faire, chaque artisan.e a ses spécificités, sa main, ses inspirations.

Comment êtes-vous devenu luthier ?

 

Yoann : J’ai toujours voulu faire ce métier, depuis le collège, plus précisément depuis la quatrième. Je jouais de la guitare et suis alors tombé sur un article d’un luthier espagnol. J’avais treize ans. Mes parents ne croyaient pas en cette voie, mais j’ai tout de même eu la chance qu’ils me laissent me former… pendant huit ans !

 

Wow ! On a tendance à oublier qu’acquérir un savoir-faire prend autant de temps et qu’il vaut mieux commencer jeune. Qu’avez-vous appris pendant ces huit ans ?

 

Yoann : J’ai étudié l’ébénisterie et la menuiserie pendant cinq ans par le biais d’un CAP, d’un BEP, mais aussi au travers d’un Brevet des Métiers d’Art. J’ai tout de suite enchaîné avec trois ans au Mans à l’ITEMM, école spécialisée dans la facture instrumentale. On a tous des parcours très différents en tant que luthiers.

 

Oui, effectivement ! Vous êtes originaire de Marseille au fait ?

 

Yoann : Non, du tout, j’ai grandi en Franche-Comté. Je suis arrivé à Marseille suite à ma rencontre au Mans avec Joël Laplane, mon prédécesseur.

 

Quand était-ce ?

Yoann : En 2004, il y a vingt ans ! Joël m’a formé, m’a embauché et m’a proposé de prendre sa suite en 2012. Un immense honneur, nous sommes dans le plus vieil atelier de lutherie de Marseille.

 

Je me souviens que Michel Donadey m’avait dit que cet atelier appartenait à Maître Carbonell effectivement.

 

Yoann : Tout à fait. Arturo Carbonell est arrivé ici en 1922, son fils a pris sa suite en 1946 et Joël en 1976. La filiation est d’ailleurs très émouvante, Carbonell se traduit par Charbonnier en français.

 

C’est effectivement fabuleux cette filiation au-delà du métier ! Je vois que vous avez beaucoup de guitares très différentes. Ce sont uniquement vos créations ?

 

Yoann : Je fais de l’achat/revente avec de l’achat de guitares d’occasion que je restaure et garantis. Évidemment, je réalise aussi des commandes sur demande de guitares classiques, folk et jazz. Je construis les instruments dont je fais ou écoute la musique. Je joue donc du classique, du folk, de l’électronique et un peu de yukulélé. Il ne faut pas oublier que c’est jouer qui m’a donné envie de faire ce métier.

 

Vous avez des pièces très étonnantes, je n’avais jamais vu de guitares avec pareilles formes.

 

Yoann : J’aime beaucoup les instruments anciens. Yoann nous montre une série de guitares plus biscornues les unes que les autres. Ça, c’est une guitare de 1820 : j’aime beaucoup faire des guitares romantiques comme celle-ci, du XIXᵉ siècle donc. La guitare classique telle qu’on la connaît aujourd’hui date d’ailleurs de la fin de ce siècle, la guitare de manière plus globale date de la Renaissance. Les riches s’achetaient alors de très beaux instruments, de vrais objets d’art comme ici, mais n’en jouaient que très peu. Nous appelons ça des instruments d’apparat.

 

Vous êtes tout seul parmi ces trésors ?

 

Yoann : Oui, je prends des stagiaires de temps en temps. En 2020, en plus du Covid, il y a eu un gros incendie dans l’atelier. Financièrement, j’ai pris une claque et commence seulement à remonter la pente. Mais le principe de transmission me tient énormément à cœur, c’est crucial pour faire évoluer le métier.

Michel nous disait que le marché est saturé. Qu’en pensez-vous ?

 

Yoann : C’est certain. Beaucoup de jeunes veulent faire ce métier, mais il y a peu de place. L’école du Mans forme 15 à 20 élèves par an, c’est colossal. Dans ma promotion, à titre d’exemple, nous étions 15. Aujourd’hui, seulement quatre sont installés. Il faut compter un luthier pour 200 000 personnes.

 

Qui sont vos clients ?

 

Yoann : Je fais de la fabrication pour des amateurs qui se font plaisir, assez peu pour des professionnels, à l’exception de Diego Lubrano pour qui j’ai fabriqué huit guitares. Les prix commencent à partir de 3000 euros. Je suis spécialisé dans les guitares acoustiques, classiques et folks et également dans les guitares romantiques du XIXᵉ. Le confort de jeu est ce qui m’importe le plus, c’est un vrai travail de collaboration. Viennent ensuite le son et l’esthétique. D’ailleurs, la jeune génération de luthiers est très attachée aux détails esthétiques. Moi, je vois la guitare comme un outil de travail à part entière.

 

La boutique et la cuisine ont laissé place à l’atelier. Dans un coin, une scie à rubans, fabriquée par son père, chaudronnier. Du noyer et de l’érable sont entreposés çà et là, : Yoann s’approvisionne majoritairement en Italie, en Espagne, en France, mais aussi en Suisse. Il y a aussi des bois plus exotiques, venus de Madagascar par exemple. Entre les guitares-lyres de l’époque napoléonienne, les ouds et guitares hawaïennes, Yoann nous raconte plus en détails ce qu’il fait.

Si j’ai bien compris, la rosace d’une guitare est la signature du luthier. Comment faites-vous la vôtre ?

 

Yoann : Je la fais en frisage, en soleil, en étant donc très inspiré de l’ébénisterie. Toutes les parties de mes guitares font entre 2,5 et 2,7 mm d’épaisseur. J’en fabrique quatre à cinq par an. La rosace effectivement est propre à chaque luthier, mais c’est surtout le barrage qui fait la différence. Je fais des barrages traditionnels en éventail pour mes premiers modèles et des barrages plus évolués qui proviennent de mes recherches pour les modèles plus haut de gamme. Chaque luthier a sa patte, vraiment. On travaille un matériau très hétérogène, on n’aura jamais le même résultat acoustique d’une planche à une autre. Chaque élément à son importance, son influence. Notre travail, c’est de connaître suffisamment bien le matériau pour trouver une moyenne acoustique. C’est un compromis sans fin entre rigidité et souplesse. Un subtil mélange qui nous vient de notre expérience, de notre sensibilité.

 

La pratique est donc essentielle.

 

Yoann : J’ai travaillé huit ans avec Joël Laplane. J’ai vu passer beaucoup d’instruments, j’ai pu tous les jouer et les observer en détail. Cela donne des pistes pour la création de mes propres instruments. Joël est quelqu’un qui a aussi beaucoup innové, qui était en avance sur son temps.

 

Le temps ici semble d’ailleurs s’être arrêté parmi tous ces instruments. Et c’est donc dans les effluves des bois que nous laissâmes Yoann déjeuner.

Visuel ©Cloé Assire