Les spectacles Vanités (à 19h) et Live (à 21h) de Stéphanie Aflalo sont à découvrir à la Maison des Métallos (Paris 11e) jusqu’au 17 mai. Une carte blanche aussi absurde qu’inspirée, entre théâtre, performance et concert. On a bien ri — et bien aimé.
À travers ses trois œuvres : ses Vanités : Méditations et Oui mais Non mais ainsi que son spectacle Live, Stéphanie Aflalo s’empare de la scène comme d’un laboratoire existentiel à la Maison des Métallos. Entre conférence sur la mort, débat philosophico-comique et concert pop conceptuel, elle explose les formes et nos certitudes avec humour, style et intelligence. C’est fou !
Stéphanie Aflalo, Grégoire Schaller et Jérôme Chaudière ont ce don rare de rendre la mort drôle, presque agréable. Ce premier tableau, Méditations, déjà présenté dans le cadre du Festival d’Avignon en 2024, vient conquérir « Paname » à la Maison des Métallos. Lorsque vous entrez dans la salle, il ne faut pas oublier de laisser votre bon sens à l’extérieur. Ici, place à l’absurde et aux mots — ceux du trépas.
Attablés face au public, dans une mise en scène minimaliste, le visage de chacun est couvert d’une crème solaire blanche, assortie aux crânes posés devant eux. Nous voici à leur conférence… sur la mort. Le public est suspendu à leurs lèvres, dans l’attente de chaque nouvelle métaphore vanitesque et de sa chute — toujours plus surprenantes les unes que les autres.
Cette réflexion — ou plutôt cette irréflexion — autour du « ne plus être » est renforcée par le jeu des comédiens, qui laissent place à leur libre arbitre et à leur spontanéité.
La force comique de Jérôme Chaudière qui même sans rien dire, utilise les articulations de son corps à la manière d’un pantin autonome, nous laisse hilares avec la sensation que nous pourrions l’observer pendant des heures sans même qu’il ne prononce un mot. Grégoire Schaller dans ce trio désaccordé, mais miraculeusement accordé, agit comme un élément perturbateur essentiel, chargé de réinjecter du flou là où les mots voudraient encore faire sens.
Stéphanie Aflalo quant à elle nous fait mourir de rire avec son habileté à transformer sa voix dans des intonations presque burlesques à travers ses Méditations. On en sort avec le rire coincé dans la gorge, comme un écho tenace des mots et des gestes laissés en suspens — et cette envie étrange de continuer la conversation avec la mort, juste pour voir où elle nous mène.
Dans la même veine, Stéphanie Aflalo nous propose, dans un second temps, une nouvelle performance : Oui mais Non mais, aux côtés de la comédienne Elsa Guedj — que l’on retrouve notamment dans le rôle d’une rabbine pleine de caractère dans la série Le Sens des Choses sur Max.
Changement de décor, toujours dans une mise en scène épurée : l’une est vêtue de noir jusqu’à la perruque, l’autre tout en blanc, chevelure comprise. Assises sur de simples tabourets, elles nous fixent, prêtes à nous entraîner dans un duel oratoire à l’image de leur apparence.
Devant nous : la mort et la vie personnifiées, comme deux amies ou deux sœurs — pourtant radicalement, et comiquement, opposées. Cette opposition passe autant par le discours que par le jeu des deux comédiennes.
Stéphanie Aflalo, le yin, ouvre le débat : voix grave, regard perdu dans le vide, visage empreint de fatalisme. Face à elle, Elsa Guedj, le yang, réplique d’une voix fluette — parfois presque agaçante —, le sourire aux lèvres et la mine lumineuse.
On assiste alors à un véritable match de tennis, opposant une pensée désespérément lucide à une joie forcenée. Parfois, on se reconnaît en l’une. Parfois, en l’autre. Comme si ce dialogue, aussi absurde que drôle, rejouait un débat intime et universel — celui qui nous habite chaque jour, entre désespoir lucide et espoir absurde.
Et les répliques fusent, drôles, dérangeantes, toujours inattendues :
— « La guerre », lance Stéphanie.
— « Oui, mais c’est bien pour la régulation démographique », répond Elsa, enjouée.
Ce dialogue entre deux visions du monde, si éloignées qu’elles en deviennent comiques, finit par nous renvoyer à notre propre ambivalence face à l’existence. Faut-il choisir un camp ? Probablement pas. Il suffit peut-être d’écouter, de rire… et de continuer à vivre — un peu à la manière d’Elsa, un peu comme Stéphanie.
Plus tard dans la soirée, Stéphanie Aflalo revient seule sur scène avec son spectacle Live. Et on peut le dire : elle ne s’est pas « chiée dessus ».
Cette même scène, qui accueillait une heure plus tôt ses vanités épurées, se transforme soudain en véritable salle de concert. La fumée envahit l’espace, et des haut-parleurs jaillit une foule en délire — une clameur fictive que la voix d’Aflalo électrise comme une rockstar.
La salle paraît soudain plus vaste, métamorphosée par une scénographie immersive : un grand écran diffuse des images mouvantes, abstraites — des pixels qui finissent par dessiner un cœur battant dans un abdomen. Devant, la chanteuse déclame, raconte, performe : un récit de ses innombrables connaissances — un savoir total, ironique, encyclopédique, où l’on retrouve pêle-mêle… l’alphabet.
Après nous avoir instruit, elle nous invite à chanter, nous aussi, notre « anosognosie » quotidienne — et ça fait du bien.
Elle reprend les codes de la pop et du concert, les absorbe, les tord, les pousse jusqu’à l’épuisement. Puis elle les brise. Et dans cette déconstruction jubilatoire, elle parvient à créer quelque chose d’unique : une pop érudite, absurde, grinçante — et terriblement vivante.
Malgré le second degré et l’humour décalé auxquels on commence à s’habituer après trois spectacles, on assiste bel et bien à un concert de star. Aflalo use de sa voix comme d’un instrument, traversant les genres : du grave à l’aigu, du rap au belting, sa versatilité impressionne. Le spectacle réjouit autant l’oreille que l’œil, autant l’intellect que le diaphragme.
Elle occupe chaque recoin de la scène, entre danse, chant, et interaction avec le public — à coups de questions inattendues :
« Est-ce qu’il y a des propriétaires dans la salle ? »
« Est-ce qu’il y a des communistes dans la salle ? »
« Est-ce qu’il y a des propriétaires communistes dans la salle ? »
Et dans la fumée qui retombe, un cœur pixelisé continue de battre. La scène est vide, mais quelque chose persiste : un éclat de rire, un écho de voix, et cette drôle de sensation d’avoir vécu un concert qu’on ne savait pas qu’on attendait.
Vanités et Live de Stéphanie Aflalo jusqu’au 17 mai à la Maison des Métallos.
Visuel : ©Roman Kané / Maison des Métallos