Un « Lorenzaccio » burlesque aux Nuits de Fourvière

Un texte travaillé à l’os

On reconnaît la signature de la troupe à cet accueil confondant. Lorsqu’on pénètre dans la cour organisée en buvette, ils jouent déjà. Approchez ! Prenez un verre. Amaretto, Limoncello… quelque cantuccini pour accompagner votre coupe ? Puis on traverse la scène – enfin, la taverne – pour gagner les gradins. Chacun des spectateurs avec sa liqueur italienne et son cornet de biscuits aux amandes, spécialités de Toscane. Une façon de vous mettre dans l’ambiance dès l’entrée. Ce soir, on est à Florence, pour assister au mythique Lorenzaccio de Musset. A la fin de la représentation, on applaudira debout comme des enfants devant un réel castelet, avant de rejoindre la joyeuse troupe qui a réinstauré la buvette.

Comp. Marius, puise régulièrement dans le répertoire classique. Donner vie à cette œuvre consacrée de la période romantique habillé en bleu de travail, c’est osé. De surcroît dans un accent flamand à couper au couteau, il faut être belge ! Cette troupe intergénérationnelle composée de cinq comédiens et comédiennes a livré une performance. Deux heures trente minutes d’un texte travaillé à l’os. Sans fioriture ni économie.

Avec peu de moyens et un sens aigu de l’illusion, ils matérialisent les espaces et resituent l’intrigue en la déplaçant parmi une trentaine de figures qu’ils incarnent à eux cinq. Avec force dialogues et d’apartés, Comp. Marius réalise des tableaux qui revisitent les personnages avec modernité. La pièce déconstruit finement les mythes du héros charismatique et sage, aussi bien que les représentations encore prégnantes de la virilité courageuse ou de la féminité passive. Dans ce Lorenzaccio, la belle Marquise convoitée n’est pas une fleur fragile qui se cache du soleil. Au contraire, elle est sarcastique et bouillonnante ; et le meurtrier vengeur fait dans sa culotte à la vue d’une arme. Le monarque tyrannique ne manque pas de lucidité sur la détestation qu’il inspire, et le cardinal est mi-cuistre, mi-fleur bleue.

La pièce donne à voir les différentes facettes de chacun des rôles entre vice et vertu, et joue la dualité entre l’intériorité ressentie et l’image publique. Le propos tragique de l’assassinat du Duc de Médicis par son cousin est intact, mais on assiste à une représentation audacieuse qui évite les clichés en tous genres.

Un théâtre qui emprunte aux codes circassiens

La rigueur de l’écriture tranche avec une gestuelle comique poussée au burlesque, parfois clownesque aux moments les plus dramatiques. L’assassinat confus du souverain après plusieurs tentatives maladroites dans l’obscurité. On se cogne, on se cache, on manie mal les armes, on se réunit entre ivrognes et malfaiteurs.

Dans la cour du lycée Saint-Just, les arcades du bâtiment historique se sont muées en citadelle florentine. L’inspiration guidée par la symbolique fonctionne. Des accessoires réduits à la simple évocation : une longue queue de cheval, une calotte papale, un collier de diamants campent le décor. L’articulation du poignet distribuant les miettes aux pigeons nous transporte en un claquement de doigts sur la Place Saint Marc de Venise.

Avec sa bonne humeur communicative et son énergie tendue, Comp. Marius propose un théâtre convivial qui compose avec les codes circassiens. La troupe ne se déplace pas sans son bagage de planches et gradins, de caisses de bois et décors en carton. Ca déménage en permanence, ordonnés, désordonnés et réagencés pour changer de situation avec la facilité ludique d’un jeu de Lego géant.

Seule l’émotion du texte en partage leur importe. Ils sont tous cinq très impliqués et connectés les uns aux autres. Ils prennent à témoin les spectateurs, et intègrent les incidents techniques. Ce soir-là, Lorenzaccio a apostrophé le souffleur et sifflé d’admiration lorsqu’il a retrouvé le fil de son texte. On ignore si c’était feint… c’est la magie des « Marius » de mêler l’art du théâtre à la vie.

Crédit photo : Stephan Vanfleteren