La Maison Maria Casarès d’Alloue accueille les estivants et et estivantes pour un festival riche en émotions, entre promotion de la jeunesse et hommage à la tragédienne.
Acheté en 1961 par Maria Casarès, le Domaine de la Vergne, a été légué à sa mort, en remerciement de l’accueil que fit la France à cette immigrée espagnole, à la commune d’Alloue (Charente), où se situe le domaine. Ce qui deviendra la Maison Maria Casarès est alors consacré à l’art du comédien, sous la houlette de Véronique Charrier, ancienne directrice adjointe du Festival d’Avignon. Tour à tour dirigée par Claire Lasne-Darcueil ou Vincent Gatel, la Maison bénéficie depuis 2017 de la co-direction de Johanna Silberstein et Matthieu Roy, qui l’engagent résolument dans le soutien aux artistes émergent.es grâce au programme « Jeunes Pousses », qui accueille en résidence de jeunes artistes, les accompagne dans la structuration de leur compagnie et leur octroie depuis peu une aide financière.
Mais la Maison Maria Casarès, qui a reçu en 2008 le label « Centre culturel de rencontre », c’est aussi un festival d’été bien identifié dans la région, qui attire à la fois des fidèles du coin, des inconditionnel.les de la tragédienne et de simples curieux.ses. Lors de la saison froide, les spectateurs et spectatrices peuvent désormais se rendre à la Scène Maria Casarès à Poitiers, qui propose une programmation à l’année et se présente comme la « petite sœur » de la Maison.
Le festival d’été de la Maison Maria Casarès, qui s’étend du 22 juillet au 16 août, du lundi au vendredi, couple deux objectifs : permettre aux spectateurs et spectatrices de découvrir du théâtre à la fois accessible et exigent tout en s’inscrivant résolument dans l’héritage de Maria Casarès.
Ce second aspect fait l’objet de deux moments particuliers : casque sur les oreilles, les visiteurs et visiteuses déambulent dans les 5 hectares du domaine tout en écoutant des extraits de la correspondance entre Camus et la comédienne dits par Johanna Silberstein et Philippe Canales. Leurs relations, qui s’est étendue sur de nombreuses années, fut en effet l’occasion d’écrire ces lettres tendres et amoureuses. Outre les sentiments qui les relient, la tragédienne et l’écrivain y évoquent leur travail, le doute et le plaisir de créer. Dans une très belle lettre, notamment, Maria Casarès exprime la grâce qui l’a saisie un soir de jeu où, quelques minutes encore avant d’entrer en scène, Melpomène, la muse de la tragédie, semblait l’avoir abandonnée. Cette représentation fut pourtant un triomphe, la toux qui l’assaillait sans discontinuer disparaissant mystérieusement et le texte, qu’elle ne parvenait à se remémorer, réapparaissant d’une façon tout aussi énigmatique.
Outre cette belle balade sonore, l’été est l’occasion de suivre l’avancée des travaux du « logis », où vivait Maria Casarès et qui font face, eux aussi, à une double gageure : mettre aux normes cet espace tout en préservant son cachet initial. Le parcours nous permet ainsi de découvrir, outre les lieux, du mobilier ayant appartenu à l’actrice, comme une méridienne ou un très beau secrétaire sur lequel elle écrivait. Si le gros œuvre est désormais accompli, l’électricité doit être rénovée, de même que la décoration murale, le papier peint initial devant faire l’objet d’une réduplication numérique. Ces travaux, d’un budget de un million d’euros, ont été financés par la Fondation du patrimoine à hauteur de 150 000 euros, de même que par la DRAC et les collectivités locales. Ils devraient permettre à la Maison d’ouvrir des chambres d’hôte dès l’été 2025 et augmenter ainsi sa part d’auto-financement.
Le festival, c’est aussi et avant tout un moment de rencontre à la fois culinaire et théâtral. Chacune des trois représentations est en effet accompagnée d’une collation, puisque l’on passe d’un goûter-spectacle à un dîner-spectacle entrecoupés, bien entendu, d’un apéro-spectacle (au Pineau des Charentes, bien sûr !). Il s’agit en effet de mettre à l’honneur les producteurs et productrices locales.ux grâce à du circuit court.
Et ce choix est cette année particulièrement en adéquation avec la programmation, puisque le spectacle qui accompagne l’apéritif est une mise en scène, par Matthieu Roy, de Europe-Connexion d’Alexandra Badea, satire des lobbies agro-alimentaires et de leur poids à la Commission européenne et au Parlement européen. Brice Carrois y joue un jeune énarque lobbyiste, oscillant entre son ambition et la découverte tardive d’une forme de conscience, tandis que Johanna Silberstein lui donne la réplique, le pronom « tu » utilisé par Alexandra Badea tout au long de la pièce permettant de répartir le texte entre deux instances récitantes. Johanna Silberstein figurerait-elle la mauvaise conscience de ce jeune énarque ? Sa longue robe noire lui donne en tout cas quelque parenté avec la Mort telle que Maria Casarès la jouait dans Orphée, en même temps qu’elle marque l’importance de la théâtralité dans cette Europe bureaucratique. Cela permet d’extraire le texte de sa dimension parfois un peu trop didactique et d’inscrire la pièce dans l’univers du spectacle.
Avant cette incursion dans un monde où les adultes ont un peu trop oublié les rêves et idéaux de leur enfance, les curieux.ses ont pu voir Ouasmok ?, de Sylvain Levey. Pour cette première mise en scène qu’il signe de son nom, l’auteur a fait appel à deux acteur.rices issu.es de l’École du TNS, Théo Salemkour et Léa Sery. Nous y suivons l’histoire d’amour de deux collégien.nes qui découvrent, au sommet de leur école, un pièce abandonnée. Iels y élisent alors domicile et y vivent, en accéléré, les vicissitudes des relations amoureuses. Ode à la fantaisie plus qu’à l’amour, Ouasmok ? nous raconte surtout comment Léa parvient, par le pouvoir d’une imagination d’enfant, à tout transformer en jeu et à reléguer un réel trop décevant dans un no-dream-land sans intérêt. Cette pièce, publiée voilà vingt ans, a fait l’objet de nombreuses autres mises en scène et offre un vent de fraîcheur bienvenu.
La jeunesse de La Vague est toutefois moins enjouée. Les adolescent.es y sont un peu plus âgé.es et, comme souvent, plus cruel.les entre elles et eux. Tony, qui subit les moqueries et le harcèlement de ses camardes, en sait quelque chose : toujours seul à la cantine, il se fait régulièrement bousculer. Mais voilà que « Ben », leur professeur d’histoire, leur propose une mise en situation qui va changer sa vie : créer, sous prétexte d’expérimentation sur le fascisme, une « communauté » nouée par delà les différends. Désormais, Tony fait partie du groupe. Ce sentiment d’osmose, qui repose en grande partie sur les frustrations des un.es et des autres, exclut rapidement tou.tes celles et ceux qui osent émettre le moindre doute. La communauté se crée un nom, un salut, et même un insigne qui recouvrira les murs du lycée ou ornera leurs bras sous forme de brassard. Les élèves qui, quelques jours auparavant, affirmaient que l’érection du nouvelle société fasciste était chose impossible, donnent tête première dans le piège.
Pour créer ce spectacle, Marion Conejero, ancienne lauréate du programme « Jeunes Pousses », s’est inspirée du film La Vague, de Denis Gansel, et du livre éponyme, de Todd Strasser. La pièce, créée en février à l’Onde-Théâtre et Centre d’Art de Vélizy-Villacoublay, a fait l’objet de quelques remaniements pour se prêter aux formes courtes induites par le format du festival. Les acteur.rices, de la Compagnie Les Chiens andalous, tirent tou.tes leur épingle du jeu, tandis que la scénographie de Jordan Vincent, avec sa structure métallique anthracite, évoque à merveille l’imminence du péril.
Maison Maria Casarès – Festival d’Été 2024
22 juillet au 16 août
Du lundi au vendredi
Domaine de la Vergne
16490 Alloue
Dîner-spectacle
La Vague d’après le roman de Todd Strasser et le film « Die Welle » de Denis Gansel
Mise en scène Marion Conejero
Apéro-spectacle
Europe-connexion d’Alexandre Badea
Mise en scène Matthieu Roy
Goûter-spectacle
OUASMOK ? de Sylvain Levey
Mise en scène Sylvain Levey
Visite de chantier
La restauration du Logis de la Vergne, de Maria Casarès à nos jours
Visite guidée de 30 min
Balade sonore
Fragments d’autre
La Correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus
Photographies : ©Joseph Banderet