Tacet a remporté l’an dernier le prix des écritures de théâtre destiné à un·e auteur·rice de moins de 40 ans. Il était présenté en première mondiale ce 3 juin 2025 à 18h à la Sala d’Armi E, dans le cadre de la Biennale College Teatro de Venise. Le résultat : une plongée démente autour d’un sujet qui obsède les arts vivants — le silence.
Dans sa forme, Tacet est une lecture très mise en scène par la célèbre Silvia Costa. Cette création réunit Elena Rivoltini, Gaia Ginevra Giorgi, Jacopo Giacomoni lui-même, Matteo Zoppi, Renato Grieco et Silvia Costa. Metteuse en scène très en vue, Silvia Costa a collaboré, côté français, avec l’Opéra de Paris ou encore le Festival d’Automne. Elle a été la mentore de la promotion 2024 des auteur·rices de moins de 40 ans, parmi laquelle Jacopo Giacomoni a été distingué.
Sur scène : cinq chaises et un rétroprojecteur. Les premiers mots forment une présentation de personnages très particulière : tous et toutes sont des minutes de silence, à un moment donné, dans un lieu donné.
« Je suis une minute de silence. »
Silvia Costa, elle, compte inlassablement en tournant en rond, marmonnant en italien : « uno, due, tre… »
En incarnant la minute de silence, en la parlant, les acteur·rices l’abolissent. Elle devient langage. Ce faisant, la réflexion avance : la minute de silence est politique. On en fait une pour commémorer un attentat, une défaite, un deuil collectif — autant de situations marquées par la polarisation, par des camps opposés.
Peu à peu, les corps se mettent à bouger ; on verra même quelques instants de danse pure, des allongements au sol. Être le silence, l’incarner, le questionner : voilà ce que provoque ce brillant texte. Nous assistons à une sorte d’observatoire de ce temps suspendu. Jacopo Giacomoni imagine un musée du silence qui serait construit aux États-Unis. Dans ce musée démentiel, on trouverait le silence de Kurt Cobain juste avant de chanter les derniers mots de My Girl, mais aussi les 16 minutes sans une parole de The Jazz Singer, l’un des premiers films… sonores de l’histoire.
Évidemment, John Cage occupe une place centrale dans le spectacle. Son œuvre 4′33″ est faite des sons de l’environnement que les auditeurs entendent — ou produisent — lorsqu’elle est interprétée. C’est-à-dire une réaction au silence. C’est-à-dire, surtout, que le silence est insupportable.
Surtout, de façon presque poétique, le texte, et sa mise en scène de plus en plus précise — jouant avec des cris d’oiseaux, des déplacements de pupitres — deviennent un rituel non religieux. On y réfléchit au fait que les cadavres ne sont pas silencieux, comme s’ils ne voulaient pas quitter la vie.
Présenté comme une lecture, le résultat est bien plus que cela : c’est déjà du pur théâtre. L’écriture de Jacopo Giacomoni est une révélation. Il crée un objet vidé de la notion d’histoire, une réflexion portée à la perfection par une troupe déjà très affirmée. On en sort en écoutant le silence d’une toute autre oreille.
La biennale de théâtre se tient à Venise jusqu’au 15 juin
Visuel :© Simon Gosselin