Le comédien, seul en scène en apparence, s’attaque armé des flèches les plus corrosives de l’humour à la culpabilité des vivant.e.s. A la fois deuxième et troisième génération après la Shoah, il raconte ses méandres psychanalytiques pour survivre en territoire ashkénaze.
Il n’est pas évident de transformer un divan en spectacle, de faire d’années de séance un monologue espiègle et percutant. Pour arriver à installer le millimètre de distance suffisant entre toute l’histoire de sa famille et lui-même, il s’est accompagné pour la mise en scène et à la collaboration de la dramaturgie d’Olivier Veillon qui a co-écrit La fin du début avec Solal Bouloudnine, un autre portrait de famille. Il a également reçu un soutien amical à la dramaturgie et à la mise en scène de Joël Pommerat. Du premier, on trouvera le rythme de la parole, enlevé, et du second, les jeux de lumière, parfaits ici, qui accompagnent le récit souvent lourd mais avec légèreté. Les halos et les assombrissements permettent d’accroitre la puissance des questions, qui peuvent sembler inouïes, que Feldman se pose.
On découvre le comédien assis sur une chaise un peu de biais, entouré de quelques livres, de son téléphone et d’une bouteille d’eau. Cela ne vous rappelle rien ? Il a pourtant bien l’air d’un analyste là posé devant nous. Dans un exercice de retour du refoulé assumé, il n’inverse pas les fonctions, il nous honore plutôt de son enquête personnelle. Il répète plusieurs fois d’ailleurs, dans un sourire « L’enquête avance ! ». Le regard tendre, rieur, mais toujours un peu triste, Feldman semble porter sur ses épaules le poids des 6 millions de mort.e.s de la Shoah et des 300.000 survivants et survivantes qui sont revenu.e.s. Il raconte comment la mémoire physique de la Shoah se glisse dans son inconscient jusqu’à s’inviter dans ses rapports les plus charnels.
Il raconte à la perfection comment les nazis arrivent à tuer après coup celles et ceux qui juste après ne pouvaient pas supporter de vivre. Sa tante Sarah meurt trop tôt, et seul son père à lui, Victor, 10 ans à l’époque, a pu avoir un enfant, lui, Eric. Eric Feldman qui porte seul la transmission de son nom donc. Lourd, lourd. Dans cette forme, entre stand-up (assis), conférence et séance psy publique, il répare avec humour, avec witz, le yiddishland anéanti. Il lui redonne une forme d’existence et montre que parfois la Shoah peut avoir des conséquences rigolotes. Vous apprendrez que c’est un survivant qui a créé le club med. Il s’appelait Gérard Blitz, et souhaitait créer des « contre camps » dans les années 1950 en réponse aux camps de la mort. Des camps dans lesquels la liberté serait, pardon, est totale. Car dans toute blague juive, on rit du pire pour aller mieux. L’espoir est là dans le fait que lui, existe et parle. En faisant entendre Zog Nit Keynmol, le chant des partisans juifs, écrit en 1943 par Hirsch Glick, un jeune juif détenu au ghetto de Vilnius, qui est devenu depuis, l’hymne des survivant.e.s de la Shoah, il réactive ces mondes anéantis et leur donne la possibilité non pas de survivre, mais de transmettre, encore et encore, pour des centaines de générations.
Du 6 septembre au 26 octobre au Petit Saint Martin
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