Show must go on : ni la coupure d’eau cataclysmique à Gennevilliers ni la cabale dont elle fait l’objet à Genève ne suffisent à faire lâcher Séverine Chavrier. Occupations met l’histoire du désir en cage dans un huis clos puissant au T2G.
Nous voici installé·e·s en bi-frontal mais sans pouvoir nous voir tant le décor prend toute la place. Au centre, une cage immense pleine d’objets. On devine des têtes de coiffure sur lesquelles sont posées des perruques, une balançoire, des bidons de lessive, des fausses fleurs et surtout, une bibliothèque. Des écrans sont accrochés sur la structure et l’on imagine que, chez nos voisin·e·s de l’autre côté, il se passe la même chose. Surgit une conversation en visio : un vieux couple qui se la joue vulgaire, une femme entre deux âges et une créature sursaturée en filtres Instagram qui se lèche les babines. La pièce a commencé depuis à peine deux secondes, l’effusion a débuté et elle ne va jamais s’arrêter. Séverine Chavrier a décidé de s’attaquer à la construction de nos imaginaires amoureux et sexuels, de Simone de Beauvoir à Paul B. Preciado, en gros depuis presque un siècle. La symbolique de l’échafaudage est claire : ici, on déconstruit pour reconstruire.

Nous avions reproché à la dernière mise en scène de Chavrier, Absalon Absalon, sa surabondance de formes. Ici, c’est tout l’inverse : elle choisit un médium, le théâtre filmé, et tire le fil jusqu’aux saluts. Le résultat est une pièce précise qui contient sa foisonnance en maintenant Hugo Cardinali, Jimy Lapert, Jasmin Sisti et Judit Waeterschoot à l’intérieur de cette immense boîte. Les comédien·ne·s nous parviennent par les images qu’ils et elles filment en direct avec leurs téléphones. Le procédé n’est pas neuf, mais il est très bien amené. Le quatuor, par des jeux de costumes 3.0, semble être une dizaine. Chavrier utilise les codes de maintenant pour questionner l’époque. Alors oui, on filme au smartphone et on s’amuse à ajouter des filtres de toutes sortes sur nos visages. Il en va de même dans Occupations. Elle y convoque des extraits de textes qui, là encore , c’est l’énorme tendance du moment, sont projetés sur les écrans, nous les lisons, en silence, ensemble. Pendant ce temps, le jeu se déroule : il attaque chaque moment fondateur dans la rencontre de la sexualité, des premiers émois à la maternelle jusqu’au consentement, les rites de passage, mais aussi le désir pur, l’envie d’une peau, là tout de suite, dans cette boîte de nuit, là tout de suite. Tout se passe en accéléré, comme si l’on scrollait sur nos téléphones.
Chavrier fait le tour, ou plutôt le carré, de la question. Elle détourne cette idée d’occupations qu’elle emprunte au titre d’Annie Ernaux, L’Occupation, pour en faire des ô-cul-passion. La bande-son est elle aussi très sexuelle, sans être explicite : on entend, par exemple, le rythme pile collé à celui de notre cœur de Hometown de French 79, qui donne très envie de danser, collé à son objet de désir, maintenant. Elle cultive les belles images, telles que ces mains entremêlées qui racontent un amour fusionnel ou celle d’une fiancée passée à la moulinette du rite douteux de l’EVJF. Occupations montre les limites douteuses de la cis-hétéronormativité qui induit l’idée de “se ranger”. La pièce est une forme de rééducation sexuelle urgente et pertinente à mettre dans les yeux de tous les lycéen·ne·s de Gennevilliers et d’ailleurs.
Au T2G, dans le cadre du Festival d’Automne jusqu’au 15 décembre
Visuel : © Zoé Aubry