Dans Niagara 3000, quatrième volet de la saga Fire of emotions, Pamina de Coulon est en colère. Et elle a honte — vergogna scande-t-elle en italien. Puisant dans l’une et l’autre émotion pour articuler une pensée anti-capitaliste, anti-coloniale et anti-patriarcale très référencée, elle se pose de nombreuses questions sur les dysfonctionnements du monde actuel et les partage avec nous.
Chevelure orangée, paillettes sur le visage, elle porte belle, bien résolue à nous engager avec elle sur une voie alternative et plus égalitaire, et dont l’axiome pourrait se résumer ainsi : comment vivre le monde que l’on veut au sein du monde que l’on a ?
Pendant une heure, c’est en reprenant à peine son souffle qu’elle nous embarque dans une traversée-fleuve en adresse directe, un torrent didactique de mots, d’idées et d’emprunts aux nombreuses lectures et concepts qui accompagnent ses insomnies et dans lesquels elle cherche soutien et réconfort, une logorrhée sous forme de flot/flow ininterrompu à l’image des Chutes du Niagara qu’elle est allée visiter mais dont elle est revenue profondément heurtée : leur beauté et leur puissance se faisant toujours un peu plus grignoter par le cancer de l’économie du surtourisme. Ce torrent est transposé sur scène, dans une scénographie minimaliste, sous la forme d’une cascade de tissu bleu entourée de gros rochers mous sur lesquels la performeuse évolue et qui rappellent les Alpes suisses où elle a grandi. Mais pas que : c’est aussi un écho visuel au concept théorisé par Saskia Sassen et qui inaugure son argumentaire : Dead land dead water (terre morte eau morte).
Dead land dead water, répète-t-elle. Dead land dead water pour dire plus justement, plus tragiquement, ce qui est actuellement à l’œuvre à l’échelle mondiale et qu’une tendance à la litote ne nomme que réchauffement climatique.
Comme sur scène elle passe d’un rocher à l’autre, elle glisse d’une idée politique à une autre, au gré également de confessions plus intimes. Sans nous lâcher une seconde du regard, elle articule intelligemment son texte comme un cri du cœur qui carbure à l’affect et aux punchlines. Pêle-mêle, elle dénonce la tyrannie occidentale du Club de l’humanité (Ailton Krenak), préférant militer pour le dissident Club des Rustiques ; elle nous apprend que pour le poisson d’eau douce l’avenir vient de l’amont et l’air frais de l’aval (Adrian Reech), que pour une partie de la population on touche à « la fin de la patience », que l’armée américaine a fait de la lutte contre la rouille son combat ultime… Elle rêve presque d’une revanche des dominés à la faveur d’un incident nucléaire qui éradiquerait le peuple suisse — et plus si affinités. Généreuse, elle cite Rebecca Solnit, Jean-Baptiste Fressoz ou Chelsea Batavia et tant d’autres.
Si la sincérité et l’engagement de Pamina de Coulon ne font aucun doute — et l’inscrivent d’emblée dans la mouvance actuelle d’une politisation militante des scènes —, si son humilité la rend particulièrement touchante, on peut s’interroger sur la part de théâtre dans cette proposition qui ressemble à s’y méprendre à un pamphlet politique. Certaines spectatrices y trouveront davantage leur compte que d’autres — mais toute l’audience sera également genrée au féminin. Et repartira chargée d’interrogations et de pistes de lectures, un polycopié rassemblant les concepts et auteurices cité.es sous le bras. À étudier jusqu’au prochain volet ? Nul doute que Pamina de Coulon a encore beaucoup de choses à nous dire.
Jusqu’au 14 à la Manufacture-Avignon dans le cadre de La Selection Suisse
Visuel :© SCH