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L’Ophélie de Jatahy «ne mourra pas» et venge son double shakespearien

par Julia Wahl
05.04.2024

Après Les Trois Sœurs et Dogville, Christiane Jatahy adapte Hamlet au Théâtre de l’Odéon, avec Clotilde Hesme dans le rôle-titre.

Un « renversement féministe » ?

 

C’est un spectacle déjà maintes fois commenté que ce Hamlet de Christiane Jatahy. On en connaît dès lors ce qui se donne comme son enjeu principal : procéder à un « renversement féministe » – l’expression est de la metteuse en scène – de la tragédie shakespearienne.

 

L’on a voulu voir dans la distribution l’un des aspects de cette adaptation féministe de la pièce : le rôle-titre est interprété par Clotilde Hesme, dont la figure longiligne et un rien androgyne occupe le plateau durant les deux heures de spectacle. Il ne s’agit toutefois pas là d’une innovation. D’une part parce que, depuis Sarah Bernhardt, on ne compte plus les actrices ayant interprété ce rôle ; d’autre part parce que le personnage de Hamlet, déterminé en grande partie par une sentimentalité et une indétermination volontiers associées au féminin dans nos sociétés binaires, se prête particulièrement bien à un tel choix.

 

Transition et mise en scène contemporaine

 

Si le Hamlet incarné par Sarah Bernhardt restait un homme – certes encore un peu juvénile et par trop émotif – Christiane Jatahy joue, plus qu’elle ne prétend innover, avec cette tradition qui veut que le prince du Danemark soit joué par une jeune femme. Puisque comédienne il y aura, semble-t-elle nous dire, princesse y aura-t-il également. Le texte de Shakespeare est ainsi féminisé dès lors qu’il décrit Hamlet.

 

Cette féminisation est, nous le comprenons rapidement, relativement récente : Hamlet-Clotilde Hesme est une femme trans et cela ne fait l’objet d’aucun développement particulier. Peut-être est-ce là l’audace principale, en termes de réflexion sur le genre, de cette mise en scène : cette transition est présentée comme un fait qui ne pose pas – ou peu – question. C’est en intégrant, sans la commenter, cette réalité contemporaine, que la metteuse en scène brésilienne ancre véritablement la pièce dans notre époque, bien plus qu’avec son imposante scénographie aux allures de cuisine équipée.

 

« Cette année, je ne mourrai pas »

 

Féminisme et féminisation ne vont pas toutefois nécessairement de pair. Si la proposition de Jatahy apparaît bien, malgré tout, comme une profession de foi féministe, c’est grâce au personnage d’Ophélie. Car l’Ophélie de Jatahy, jouée par Isabel Abreu, est à la fois celle de Shakespeare et son double vengeur. Que nous reste-t-il du personnage, une fois la pièce achevée, sinon son corps, non encore abimé par la mort, flottant dans l’eau ? Archétype de la représentation idéalisée de la mort, les Ophélie des peintres s’extraient ainsi de leur condition humaine pour se faire allégories de l’innocence féminine.

 

Rien de tout cela chez notre Ophélie, faite de chair, qui déclare face public : « cette année, je ne mourrai pas ! ». Cette phrase bravache, qui modifie le cours de la pièce, humanise le personnage tout en introduisant une métathéâtralité bienvenue. Par cette phrase, ce ne sont pas tant les femmes victimes de l’emprise masculine qui sont vengées que les héroïnes de tragédies aux traits trop lisses et au rôle trop secondaire. Ophélie prend peu à peu la place de son bourreau et venge, par sa seule présence, son homonyme, trop effacée, de Shakespeare.

 

Jouer avec les fantasmagories

 

La jouissance provoquée par ce renversement des rôles est soutenue par le travail du texte. La traduction de Dorothée Zumstein, loin d’être « plate et sans mystère », accélère le rythme des phrases pour les rendre plus percutantes. Le recours à la brièveté, sinon à un style heurté, participe certes d’une modernisation du texte, mais aussi de la violence des propos. Quant au recours à la vidéo, marque de fabrique de Jatahy, il participe, grâce au travail du tulle qui rappelle ici les « fantasmagories » du début du XXe siècle, de la création du fantôme qui hantera Hamlet, mais aussi de la mise en scène du doute et de l’autonomisation d’Ophélie, dont l’incarnation en une actrice bien présente sur le plateau l’oppose à ces êtres évanescents que sont ces projections lumineuses.

 

Quelques regrets néanmoins : pour fonctionnelle qu’elle soit, cette scénographie modifie le jeu des comédien.nes, et pas toujours en bien. Lors du dialogue liminaire, le visage de Loïc Corbery projeté en très gros plan sur le tulle mentionné plus haut contraint Clotilde Hesme, dont le talent de comédienne repose en grande partie sur son aptitude à transmettre des émotions avec une grande économie de moyens, à adopter un jeu un peu grandiloquent, qui ne rend pas justice à sa virtuosité.

Au Théâtre de l’Odéon jusqu’au 14 avril.

 

Visuel : © Simon Gosselin