Les Plateaux Sauvages invitent le metteur en scène Martial Di Fonzo Bo à s’emparer de deux seul·es en scène. Le premier, écrit pour Raoul Fernandez par Philippe Minyana, et le second, de Sonia Chiambretto pour Inès Quaireau, proposent deux récits qui montrent comment le théâtre peut porter des vies singulières, parfois tortueuses.
Le portrait de Raoul Fernandez fait suite à un premier portrait réalisé par la Comédie de Caen qui, à l’époque, nous sommes en 2019, mettait en lumière des personnalités majeures du spectacle ou du monde intellectuel. Martial Di Fonzo Bo, fou de Copi, on se souvient de son incroyable Tour de La Défense, transformait alors Raoul en fille, selon les désirs de sa maman : « Je faisais la fille de la maison », perruque blonde, robe noire et talons.
Cette suite ne fait pas doublon. Cette « suite » est une fin, en quelque sorte. Raoul Fernandez nous offre une oraison funèbre cabaretique qui nous embarque dès la première scène, où l’on découvre le comédien sur son lit de mort, tout pailleté. L’effet est immédiat : on se surprend à réfléchir à l’importance de se vêtir pour sa dernière apparition, et à l’absolue nécessité de partir avec glamour.
Derrière un grand rideau pailleté, lui aussi transparent, Raoul chante en espagnol, avant de se lever et de surgir tel un fantôme bienveillant du spectacle. À travers son récit, il nous parle de sa vie, de ses grands amours, notamment Antonio, son amant préféré, mais aussi de ses moments de trouble et de questionnements autour de son identité de genre, « un garçon-fille », dit-il. Raoul tire les larmes avec un simple geste, un petit pas de danse ou une main levée.
Les lumières et les costumes sont sublimes, tout est glamour, mélancolique et nostalgique. Heureusement, on vous rassure, Raoul Fernandez va très bien et n’est en rien mourant. D’ailleurs, L’Hôtel du Libre-Échange, que nous avons adoré cette saison à l’Odéon, est actuellement en tournée.
Ce portrait-nécrologie respecte l’exercice, une nécrologie, c’est toujours l’occasion de replonger dans la vie et les grands souvenirs de la personne disparue. Raoul rappelle qu’il est originaire d’un village du Salvador, puis, qu’il est venu à Paris pour tenter sa chance. Costumier pour les plus grandes maisons, notamment l’Opéra de Paris, son identité se situe dans le champ du cabaret, il aime les paillettes et les perruques, et Martial Di Fonzo Bo le lui rend bien.
La deuxième partie de ce diptyque nous installe dans un univers radicalement différent, finis les perruques et le glamour, nous voici dans un espace presque vide. Sur scène, il y a une caisse, un sac de boxe et un gros enregistreur. Seule sur scène, Inès Quaireau, en jogging et crop top, incarne une jeune fille d’aujourd’hui. Elle se présente comme Annette, mais quelque chose cloche, l’Annette dont elle parle est née en 1938.
La jeune comédienne porte donc une histoire qui n’est pas la sienne, mais celle des filles incarcérées au couvent du Bon Pasteur, une prison déguisée en institution religieuse, « barreaux aux fenêtres et grande croix sur le mur ». Ces jeunes filles subissaient des sévices physiques et psychologiques, et rêvaient toutes de fuir.
Le spectacle tisse un parallèle avec les jeunes filles d’aujourd’hui, confrontées à d’autres formes de détention ou de contraintes sociales. Sonia Chiambretto y consacre une partie fascinante, plus intéressante que la comparaison contemporaine parfois artificielle. L’enfermement des filles reste un sujet tragiquement actuel.
Ce texte met en lumière une comédienne hors pair, à suivre de très près, et révèle la richesse de l’écriture de Sonia Chiambretto, pleine de pépites, de punchlines et de poésie.
Inès Quaireau, est une révélation qui vous oblige à retenir son nom. Elle se transforme en quelques secondes et porte dans son corps les idéaux des filles de sa génération, à presque un siècle d’écart. La pièce est une œuvre fondamentale, car elle donne à entendre cette folie qui rend une société hostile à ses membres les plus libres.
Ce double portrait signé Martial Di Fonzo Bo peut se découvrir l’un à la suite de l’autre jusqu’au 11 octobre. Il s’en va, le portrait de Raoul, joue lui jusqu’au 18 octobre.
À voir aux Plateaux sauvages, jusqu’au 11 pour Au bon pasteur et Il s’en va, le portrait de Raoul jusqu’au 18 octobre.
En tournée, pour Au bon pasteur : 24 et 25 novembre 2025 : Le Qu4tre-Université d’Angers
29 et 30 janvier 2026 : Le Quai, CDN, Angers
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