Clémence Attar, écrivaine des mots contemporains, met en scène, avec Louna Billa, son texte Les Enchantements, les bruits sourds des grands ensembles au Théâtre Ouvert. Un spectacle jeune, frais, coloré, et qui fait du bien.
Jour 1, il fait chaud. C’est la canicule dans les grands ensembles, le bitume est brûlant. Deux groupes de jeunes rêvent de partir en vacances à la mer, mais pour ça il faut de l’argent. Jour 2, il fait toujours chaud. Chaque groupe décide de monter un business : créer des oasis de fraîcheur au cœur de la cité et en faire payer l’accès. D’un côté, les garçons ont l’idée de squatter un appartement en travaux et d’y installer une piscine à boudins remplie d’eau. Leur business plan semble infaillible et leurs idées inépuisables. De l’autre côté, les filles étalent du sable sur une bâche, ajoutent un transat, un parasol et quelques cocotiers en plastique. En un tour de main, la Plage enchantée ouvre ses portes à la clientèle.
Sur le plateau, deux grands rectangles blancs circonscrivent l’espace de chacun des groupes, ils représentent sans doute deux étages différents. Puis ces rectangles se remplissent de couleurs, des frites en mousse sont lancées à travers le plateau, des crocodiles gonflables se baladent entre les bouées colorées en forme de flamant rose et de canard, c’est une bataille d’accessoires de plage. La scène est très joyeuse et l’effet visuel très amusant.
Tout au long du spectacle, la parole alterne, elle est proclamée dans le rectangle gauche, puis celui de droite ; les garçons, puis les filles et ainsi de suite. C’est comme si l’on regardait par une fenêtre, puis par l’autre, que l’on passait d’une ambiance à une autre en quelques secondes. Cet effet dynamique rend la pièce vive et vient accrocher l’attention. À cela, s’ajoute l’énergie du texte que les comédien·ne·s font fuser et rebondir.
Clémence Attar a choisi d’écrire avec une langue dont les mots et la grammaire émanent des quartiers populaires. Cette langue se retrouve aujourd’hui partout, elle est reprise par différentes couches de la société. Mais si pour certain·e·s, elle est devenue courante, pour d’autres, elle ne l’est toujours pas. En choisissant d’affirmer sur scène ces mots contemporains, d’une certaine façon, Clémence Attar renouvelle le théâtre en montrant la poésie d’une langue vivante encore minoritaire sur les planches, lui attribuant toute la légitimité qu’elle devrait avoir.
En écrivant cette oralité, l’auteure se retrouve aussi dans une position délicate. Le défi est de théâtraliser sans caricaturer, de ne pas tomber dans le préjugé langagier, et c’est plutôt bien réussi. C’est le même défi qui est posé aux comédien·ne·s, donner voix et corps à ces personnages sans sonner faux.
Dans la salle, le public est jeune, il glousse ou rit plus franchement. Le spectacle nous enchante, il montre les quartiers populaires sans violence tout en laissant paraître en arrière-plan une réflexion sur la libre création du langage.
Texte : Clémence Attar (éditions Théâtrales)
Mise en scène : Clémence Attar et Louna Billa
Avec : Leslie Bouchou Carmine, Mama Bouras, Yasmine Hadj Ali, Antoine Kobi, Eliam Mohammad, Clyde Yeguete
Costumes : Anouche Garand
Création sonore : Amaury Dupuis
Création lumières et régie générale : Lucas Collet
Régie lumière : Lucas Collet et Nicolas Zajkowski
Jusqu’au 27 janvier au Théâtre Ouvert
Visuel : ©Christophe Raynaud de Lage