Après avoir accueilli l’an dernier Médée-Matériau dans une mise en scène de Mathias Langhoff, le Théâtre de la Commune ouvre cette saison ses portes à une autre pièce de Heiner Müller, Quartett, avec Jacques Vincey à la mise en scène et Hélène Alexandridis et Stanislas Nordey au jeu.
De Quartett, on connaît l’enjeu : adapter au théâtre le roman épistolaire de Laclos Les Liaisons dangereuses. Le défi, au moment où Müller s’attelle à cette tâche, est d’envergure : l’œuvre source est un roman-fleuve qui permet à chaque protagoniste de déployer durant de longues, mais passionnantes pages, un large panel de réflexions et de sentiments, étudié·es avec précision.
En changeant de médium, Müller déplaçait le propos. Sa pièce est en effet moins un récit de libertinage amoureux qu’une variation sur l’art du langage. Elle resserre ainsi l’action sur les joutes oratoires qui opposent les personnages et met en évidence la parenté, à l’époque des Lumières, entre séduction physique et séduction rhétorique.
Ainsi les paroles échangées, accordent-elles une large place à des sophismes qui reposent en grande partie sur des métaphores inattendues et sur un détournement du lexique religieux. Ce jeu avec les mots opère une inversion entre les valeurs spirituelles et celles de la licence sexuelle. Certes, il n’est question, du début à la fin du texte, que de sexe ; mais ce qui fait le cœur de la pièce est précisément la peinture des plaisirs et dangers de la chair et, moins que la réussite ou l’échec de telle entreprise de séduction, les moyens langagiers mis en œuvre pour y parvenir.
La proposition de Vincey rend très largement justice à cet important travail stylistique et rhétorique. Le jeu des acteur et actrice accompagne ainsi les métaphores religieuses par la constitution de courts tableaux qui évoquent un christ en croix ou le plafond de la Chapelle Sixtine. Le corps de Nordey, notamment, fait l’objet de sempiternelles reconfigurations de ces images visuelles. Toutefois, ces allusions sont suffisamment subtiles pour laisser au public le loisir de les percevoir et de les comprendre – ou pas.
Quant à Hélène Alexandridis, elle occupe le devant de la scène avec grâce, semblant choisir chaque mot avec précision. Elle est tour à tour Merteuil, Valmont ou Cécile Volanges avec le même charisme. À cela, faut-il ajouter la musique, jouée à vue, d’Alexandre Meyer, et la scénographique de Mathieu Lorry-Dupuy. Les bâches en plastique qui recouvrent le tableau se teintent, là aussi avec subtilité, d’écru ou de vert en fonction des lumières de Dominique Bruguière et expriment, par ce changement permanent, l’instabilité de ce jeu de masques et l’artificialité de la parole humaine.
Quartett, texte Heiner Müller, mise en scène Jacques Vincey, traduction Jean Jourdheuil et Béatrice Perregaux Éditions de Minuit.
Avec Hélène Alexandridis et Stanislas Nordey.
Visuel © Christophe Raynaud de Lage