Dans le cadre de ses « Quartiers d’artistes », le CDN de Montreuil a laissé Fanny de Chaillé s’emparer des recoins du théâtre. La directrice du TnBA – Théâtre national Bordeaux Aquitaine y présente Le Choeur, un spectacle polymorphe, créé en 2020 avec dix acteurs et actrices des Talents ADAMI Théâtre.
Un avion qui s’effondre dans une tour, une Coupe du monde de football gagnée par la France, des attentats qui endeuillent Paris… Le Chœur s’ouvre sur les souvenirs personnels de ces moments qui, bien que vécus individuellement, finissent par faire société. Une société complexe, où l’harmonie est absente : si chacu·ne évoque comment iel a découvert ces événements, personne n’écoute l’autre. Tou·tes rivalisent de souvenirs spectaculaires, grandioses, au mépris de toute vraisemblance. Et surtout, tout le monde parle en même temps.
Plus que de polyphonie, c’est donc de dysharmonie qu’il s’agit. Les voix se coupent et s’entrecoupent en des brouhahas incompréhensibles, mais joyeux, qui disent l’inanité de toute recherche d’unité. Le Chœur se recompose constamment avant d’éclater à nouveau, marque de l’impossibilité de communiquer.
Car il y a de l’Absurde dans ce Chœur-là. Au sens que ce terme pouvait prendre sous la plume de Beckett et de Ionesco, mais aussi, dans un sens plus courant, par l’improbabilité des situations rapportées par les performeuses et performeurs. Les logorrhées des un·es et des autres s’enchaînent et entraînent avec elles le rire franc et fracassant du public, qui envahit la réception de la pièce tout entière.
Pour dire ces difficultés à communiquer, Fanny de Chaillé a fait confiance aux comédien·nes : le plateau est nu. Elle fait alors appel à la parole, abondamment sollicitée, mais aussi au langage du corps, comme à ce moment où tou·tes miment différentes émotions, singulières et propres à chacun·e.
Cette dialectique du groupe et de l’individu est soutenue par les costumes aux couleurs vives des acteur·rices : pantalons et T-shirts créent des tableaux mouvants où chaque tache de couleur cherche constamment sa place. Au milieu du chœur, chaque danseur·se affirme donc sa singularité, qui passe par ce jeu chromatique comme par la coexistence de différentes langues, prononcées sans surtitrages. Il ne s’agit en effet pas, pour le public, de comprendre ce qui est dit, mais bien plutôt de percevoir l’embrouillamini des sons et les perturbations que cela entraîne.
La direction chorégraphique participe de ces incessantes recompositions : à l’alignement bien rangé, face public, du début, succèdent des attroupements qui éclatent aussitôt qu’ils se constituent. Si le tout donne un spectacle enlevé et réjouissant, son succès repose toutefois sur des formules certes efficaces, mais pas toujours d’une grande originalité. Derrière la folie apparente du Chœur se cache une dramaturgie finalement bien sage.
Le Choeur, Fanny de Chaillé. Au Nouveau Théâtre de Montreuil jusqu’au 12 avril.
Visuel : © Marc Domage