Enfin ! Il aura fallu attendre 2023 pour que le théâtre français, en l’occurrence le théâtre de la Bastille et le Festival d’automne, accueille l’iconique troupe australienne Back to Back Theatre. Génial.
La particularité de cette compagnie est que sa troupe est constituée de comédien.nes porteurs et porteuses de handicaps mentaux. Dans une mise en abyme d’elle et d’eux-mêmes, ils et elle nous accueillent dans une fausse conférence au thème flou. Le consentement ? La perception des personnes porteuses de handicaps ou bien notre relation très étrange à l’IA ? Eh bien tout ça à la fois et avec presque rien. Sur scène, tous les trois installent le décor : des chaises, un gros bloc blanc, un escalier et surtout, trois écrans, eux, sont déjà là. Deux qui offrent une traduction, le texte est en anglais, et un qui transcrit à la fois les paroles dites au plateau et celles de Siri, largement présente dans The Shadow Whose Prey the Hunter Becomes.
Simon Laherty, Sarah Mainwaring et Scott Price jouent à raconter qui ils et elle sont, pour de vrai et pour la fiction. Le trio est formidable de maîtrise. Il joue à la perfection et sème chez nous un trouble délicieux. Est-ce qu’elle et eux s’adressent vraiment à nous, public de la Bastille, ou bien au public de cette conférence ? Dans un théâtre d’absurde qui rappelle les belles heures de Beckett, on glisse dans leur monde de plus en plus accueillant. Au fil de l’eau, on acquiesce, on doute, on réfléchit. Sans dogmatisme, la pièce rappelle à quel point la route a été longue. À quel point les personnes porteuses de handicaps ont été traitées comme des bêtes de foire, comme des esclaves, comme des objets.
La pièce démonte tous les préjugés possibles sur les notions de normal et d’anormal. À l’heure où ChatGPT est devenu un outil indispensable, la question est de savoir à quel moment l’humanité toute entière comprendra et acceptera qu’elle est déficiente face au savoir des robots. Il faut juste vivre avec eux !
The Shadow Whose Prey the Hunter Becomes déconstruit avec humour l’idée que le handicap serait… un handicap. Au contraire, toustes les trois affirment que c’est par les différences que « les valides » verront leurs failles et pourront les assumer.
Au théâtre de la Bastille jusqu’au 17 décembre.
Visuel : ©Zan Wimberley