La célébration survoltée des masculinités noires de « Barber Shop Chronicles »

« Vous voulez une coupe Monsieur ? » lance un grand bonhomme fringuant à chemise entre les allées de l’immense salle de la MC93 à Bobigny. « Allez, venez, faites pas le timide ! », insiste-t-il devant celui qui hésite. En face des gradins, sur la scène, trois personnes sont assises sur des chaises pivotantes. On devine que l’une d’entre elles, une jeune femme aux cheveux noirs, n’est pas de la troupe. C’est que dans Barber Shop Chronicles, le show commence dès l’entrée dans la salle. C’est bruyant, tout le monde court, discute, se prépare en douceur.

Retour aux racines

Silence progressif dans la salle. Une musique retentit. Deux artistes jouent en live, un pianiste et une chanteuse et narratrice, Priscilla Adade, seule femme de la troupe. Dans un grand geste collectif, une bonne quinzaine des interprètes, vêtus de toutes les couleurs, entame une danse enjouée mêlée de combattivité. Ensemble, ils lient leurs voix dans une énergie communicative.

Les deux metteurs en scène, Michael De Cock et Junior Mthombeni, transposent ici à des contextes francophones une pièce jouée en Angleterre et écrite par le Nigérian Inua Ellams. Dans ce territoire d’hommes, une narratrice introduit chaque lieu visité : Bruxelles en Belgique, Abidjan en Côte d’Ivoire, Ouagadougou au Burkina Faso, Yaoundé au Cameroun… Ces pays ont tous à un moment été marqués par la présence française à partir du XIXe ou XXe siècle. Plutôt qu’un cours d’histoire, ce sont les récits du quotidien, des peurs, des frasques amoureuses, des conflits familiaux, qui parsèment le récit de ces hommes noirs coiffeurs – l’un deux est incarné par l’étoile montante du cinéma Salif Cissé – ou bien clients.

À l’image d’autres artistes comme Rébecca Chaillon qui ont questionné, entre autres, la symbolique du cheveu, le choix de planter le décor dans des salons de coiffure traduit la réappropriation par les personnes concernées d’une marque de discrimination. Les cheveux crêpus ont été lissés, coupés, moqués par la société occidentale. Dans le texte d’Inua Ellams, cet élément d’identité retrace, d’un point de vue individuel, l’histoire des pays d’Afrique marqués par cet héritage colonial, autant que désireux de s’en émanciper.

Le coiffeur, lieu d’introspection et de communion

Le point culminant, au centre de la scène, est la figure du coiffeur, celui à qui, en temps normal, on parle de la pluie et du beau temps, rien de bien sérieux, le temps d’une coupe. Il devient ici un genre de psychologue, un ami à qui l’on dit tout. « Les hommes viennent au salon pour comprendre la vie », simplifie la narratrice. Le sport qui rassemble, la langue du colonisateur source de d’échanges et de division, le poids de l’esclavage, tous ces sujets égrenés témoignent de la dilution entre professionnel et personnel, politique et intime.

Entre ces discussions souvent drôles et ironiques, la scène se transforme le temps d’apartés jouissives. Tout le monde danse en rythme, grand sourire aux lèvres et volonté claire de s’amuser. Les hommes twerkent, poussent des cris de ralliement, comme pour rappeler que toutes ces individualités prennent racine dans une histoire commune, entre traumatismes en héritage et espoir en horizon.