Ce n’est sans doute pas le plus connu des mythes grecs : pour dérider Déméter, inconsolable de voir sa fille aux enfers, Baùbo aurait soulevé sa jupe, provoquant le rire de la déesse. C’est autour de cette histoire antique que Jeanne Candel a créé son spectacle BAÙBO – ou l’art de n’être pas mort.
À cette histoire en forme de réflexion sur le deuil et la séparation, le spectacle fait certes quelques allusions : une jupe retroussée qui laisse entrevoir une copie de L’Origine du monde ou un jeu avec la poitrine de l’une des interprètes. Mais, ce qui intéresse la directrice du Théâtre de l’Aquarium est moins le détail de la fable que ce qui fait son mystère : le miracle de la joie, fût-ce dans les moments les plus difficiles.
Cette interrogation en actes passe par une bipartition du temps scénique : si la première heure se présente comme une pièce à épisodes qui a partie liée avec la comédie à sketches, la seconde accorde une place plus importante à la musique. Une musique duelle, elle-même suspendue entre deux époques, celle de la polyphonie renaissante et celle du baroque. Il s’agit là des compositions de Heinrich Schütz, pièces religieuses qui expriment le mystère de la mort comme de la vie et l’étonnement de sa propre joie, dont l’expression allemande (« Mich wundert, dass ich fröhlich bin ») souligne ce que ce sentiment a de miraculeux.
Le questionnement de Schütz portait sans nul doute sur la joie chrétienne ; Jeanne Candel se l’approprie en en faisant un sentiment moins univoque, commun au paganisme grec et au rationalisme contemporain. À certains moments, elle mêle artistes et public, la scène regardant la salle et la salle regardant la scène. En inversant, l’espace d’un moment, la relation scopique, la metteuse en scène nous transforme en Déméter riante et nous fait entrer dans son spectacle.
Puisque BAÙBO ou l’art de n’être pas mort apparaît ainsi comme la pièce de tous les mélanges, sa créatrice y mixe également comique et tragique. Les lazzis et autres plaisanteries obscènes n’empêchent nullement la réflexion de se développer. Le chœur des faucheuses présente ainsi de fortes ressemblances avec les Ménades qui accompagnent Dionysos, signe de l’intrication irréductible de la mort et de la vie, du sérieux et du joyeux. Il en ressort une pièce enlevée et intelligente, qui n’en finit pas de nous interroger.
BAÙBO – ou l’art de n’être pas mort, jusqu’au samedi 10 février, du jeudi au samedi à 20h30, le dimanche à 17h, Théâtre de l’Aquarium.
Visuel : Jean-Louis Fernandez