Kery James et Jérôme Kircher jouent « A Huis Clos » au Théâtre du Rond Point cet hiver !
par Chloe Coppalle27.11.2023
À Huis clos raconte la mort de Demba, frère de Soulaymaan Traoré, un avocat joué par Kery James. Demba a été assassiné par un policier parce qu’il a fui un contrôle de police. Ce dernier sera bien sûr innocenté. Face à cette situation, Soulaymaan surprend alors Nicolas Rittner, le juge qui a acquitté l’assassin, pour faire justice lui-même à sa famille.
À Huis Clos et les violences policières
En 2017, Kery James réalise une première pièce nommée À Vif, qui raconte le débat entre deux élèves avocats réunis pour un concours d’éloquence. Soulaymaan Traoré, réincarné dans À Huis Clos, et Yann Jaraudière, doivent débattre sur la problématique suivante : L’État est-il seul responsable de la situation actuelle des banlieues en France ? Dans cette pièce, l’opposition sous forme d’un débat universitaire avait permis de soulever tous les pendants de chaque partie. Tous les arguments, les tics de langages, les schémas de pensées, les positions possibles avaient été amenées pour déconstruire le sujet. Cette formule est reprise ici pour explorer la question des violences policières, dans un récit dramatique que les effets sonores auraient pu accompagner davantage.
À Huis clos parle de l’irréalité rationnelle entre la gravité des faits, et l’ultra réponse des forces de l’ordre, allant jusqu’au summum de la condamnation et de l’irréversibilité : la mort. Le seul motif étant que la victime est Noire et originaire de quartiers dans lesquels les habitants sont identifiés comme précaires et insécurisés. La pièce dénonce les vocabulaires employés pour justifier des procédures de jugement inégales entre les Blancs et les Noirs. Procédures de jugement ? La question trouve vite une réponse : les individus abattus par la police ne sont pas jugés. La peine de mort elle-même, envisagée comme une peine maximale à une condamnation ayant fait l’objet d’un procès, est abolie depuis 1981.
On excuse pourtant la décision subjective d’un policier décidant de vie ou de mort sur autrui sous des prétextes indéfinis et incompris. Les considérations discriminatoires sont passibles d’une peine allant jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende… ce dont n’a même pas fait l’objet le personnage du policier ayant abattu le frère de Soulaymaan dans la pièce.
Kery James sur les planches : le format de l’opposition qui fonctionne
La mise en scène de Marc Lainé marche très bien, le spectacle est beau à voir. Le huis clos est dessiné par un espace scénique concentrique dont la forme est soulignée par un néon circulaire placé au-dessus du plateau. Il peut dessiner un ring, une arène judiciaire ou la simple métaphore d’une audience fermée, entre avocat et différentes parties.
Deux caméras filment les acteurs et apportent une vue de la scène sous plusieurs angles. L’écran amène une dimension cinématographique d’une part, et télévisuelle d’autre part. Cinématographique d’abord, rappelant les deux films réalisés par le rappeur, disponibles sur Netflix : Banlieusards, inspiré par À Vif, et Banlieusards 2. Télévisuelle ensuite, car les images des violences policières sont majoritairement diffusées à travers les médias télévisuels et les réseaux sociaux. Ces médias, qui diffusent les images et relayent les informations sont les journaux télévisés … et les chaines d’infos en continu, structurées par des émissions à chroniqueurs, dont le format du débat est devenu classique. Ce sont sur ces plateformes que les vocabulaires dévalorisant et des points de vue méprisants sont portés sur les victimes de ces violences. Dans le dossier de presse, le rappeur raconte : « Ce qui rend notre société si divisée, c’est qu’il y a beaucoup d’intermédiaires entre les gens, notamment les journalistes et les politiques. Si les gens se parlaient réellement, ils se trouveraient pleins de points communs« . Kery James se réapproprie ces codes quotidiens du débat pour en faire autre chose : une confrontation, une négociation, et enfin une discussion afin de réunir deux mondes. L’univers sonore du spectacle aurait pu développer davantage cette graduation et la tension présente sur scène. En somme, l’écran amène aussi, et surtout, une dimension esthétique vraiment intéressante, particulièrement quand la salle intervient dans le champ des acteurs.
À première vue, l’affiche annonçant la pièce semble indiquer : Huis Clos. On pense alors à Huis Clos, de Jean-Paul Sartre. On imagine cette pièce géniale, qui rappelle si bien que l’Enfer c’est les autres, interprétée par Kery James. Ça ne peut qu’être merveilleux. On se dit parfois qu’on aimerait bien voir Kery James jouer des rôles à contre-emploi. Et puis d’un coup dans À Huis Clos, c’est la fin. Un dénouement inattendu, qui nous ramène dans la salle, et nous rappelle pourquoi cette pièce existe.
Théâtre du Rond Point
Durée 1h30
15 novembre – 3 décembre 2023
Parution du texte le 18 octobre 2023, aux éditions Actes Sud-Papiers
Kery James est auteur associé de Chaillot – Théâtre National de la Danse
Visuel : ©Koria
