Les Amandiers accueillent l’adaptation par Julie Delille du roman d’Anne Sibran Je suis la bête. Un voyage au pays de l’étrange et de la poésie.
Une enfant abandonnée, très tôt, par ses parents et recueillie par une chatte : tel est le point de départ du roman d’Anne Sibran publié chez Gallimard. L’enfant sauvage prend la parole pour nous raconter, à la première personne et au présent de l’indicatif, une lente métamorphose. Avec une gestuelle qui emprunte à la danse et au cirque, elle déstructure par instants ses articulations pour transformer ses mains en pattes et sa tête en museau.
En prenant la parole, toutefois, la récitante se place résolument du côté de l’humanité. Une part non négligeable du texte consiste en effet à explorer ce qui distingue l’humain de l’animal avec, au premier rang de ces oppositions, le départ entre le langage articulé et le cri – ou le silence – animal. La précision et la poéticité de la langue d’Anne Sibran accroît cette impression de se situer davantage du côté de la langue humaine que de la clameur animale.
La proposition de Julie Delille, qui adapte, joue et met en scène ce texte, témoigne de cette volonté de faire entendre la beauté de la prose d’Anne Sibran. D’une voix douce et articulée, elle déroule le texte avec une apparente simplicité qui déploie l’imaginaire du public. Dès lors, nul besoin de grands effets : il suffit de fermer les yeux pour suivre la mélopée.
Le dispositif scénique et la création lumière d’Elsa Revol nous convient d’ailleurs à ces moments de suspension du regard : le personnage se trouvant au début enfermé dans une armoire, le plateau est plongé dans une obscurité complète qui ne s’estompera que progressivement et jamais tout à fait. C’est alors aux spectateur.ices d’imaginer ce qui se dit et se fait pour sortir de son impression de cécité. Les teintes de gris qui se font jour peu à peu accompagnent avec justesse le rythme des mots et la création sonore d’Antoine Richard, elle aussi très sobre.
On ressort du spectacle avec la sensation d’avoir vécu un moment hors du temps et de l’espace, où l’élégance formelle du plateau fait ressortir la beauté du texte.
Visuel © Florent Gouëlou