Au Théâtre des Doms, le metteur en scène belge Cédric Eeckhout s’assoit autour de la table pour nous presenter Jo, sa mère, une rencontre sensible.
Jo est une âme libre, et elle fait ce qu’elle veut. Rebelle, dès sa plus tendre enfance, elle voulait être coiffeuse, car c’est de l’art, dit-elle. Jo a aujourd’hui 81 ans (qu’elle ne fait pas), et son fils, Cédric lui a annoncé qu’il voulait écrire une pièce sur elle. Encore mieux, il veut qu’elle joue dedans, avec lui. Pour qu’elle se raconte sans concession, et parle de son époque : celle de l’après-guerre, des concerts de Johnny, des choucroutes à la Bardot et des premiers flirts. Mais aussi de sa vie de femme célibattante perchée sur ses hauts talons, dans un monde d’hommes.
C’est d’abord leur relation complice qui saute aux yeux. Et puis il y a aussi, cette ressemblance qui ne trompe pas. Elle, mère de quatre enfants, qui a vécu dans un monde presque oublié : celui où le mariage libérait la femme et lui permettait de quitter le carcan familial. Elle rêve d’une belle maison, du dernier aspirateur et d’une éducation bourgeoise pour ses enfants tout en continuant de travailler dans son salon de coiffure. Elle est une combattante, c’est comme ça que la voit son fils. Sur scène, pendant qu’elle raconte, Cédric s’habille, se transforme, prend ses traits, pour mieux lui ressembler, créant encore plus le trouble. Il raconte sa vision de la vie de cette femme dans un monde qui semble parfait, rêvant la vie de sa mère par procuration. Et c’est très beau, ce parti pris de la mettre en avant, pour rester lui, de côté.
Cette vie de rêve ne dure qu’un temps. Quand arrivent les non-dits, le divorce, les galères d’argent, une rupture s’opère dans la narration et c’est comme si toutes les digues mises en place depuis le début du spectacle se brisaient d’un coup au plateau. C’est lui à présent qui prend la parole, qui raconte et devine les fêlures, la honte, les combats qu’elle a dû mener. Il rend ainsi un hommage vibrant à cette femme qui a su tenir debout, malgré les adversités, la tristesse… sans jamais que la joie ne la quitte.
Héritage, est de ces spectacles qui impriment une trace et reste longtemps après la représentation. Au-delà de la maîtrise de jeux des acteurs (fils comme mère), la pièce offre de nombreuses trouvailles dans la mise en scène, et un rythme extrêmement bien mené, ainsi qu’une palette extrêmement riche avec différents niveaux de narration. Cédric est tour à tour complice avec le public, introspectif, drôle, exubérant ! Son atout majeur tenant dans la transmission que l’on voit transparaitre d’une mère à son fils, et de leur relation. On ressent l’amour tout simplement.
Un hommage émouvant et un spectacle rafraichissant qui parle autant de la relation intime que de questions plus sociétales sur les rapports de classe, la marginalisation et le patriarcat. Un coup de cœur du festival off !
Héritage, de et avec Cédric Eeckhout, au théâtre des Doms à 13h jusqu’au 21 Juillet.