Théâtre

« Grand Blanc » : Vincent Fontano explore la transmission de la haine à la Maison de la culture d’Amiens

par Julia Wahl
02.04.2025

L’auteur du court-métrage Set Lam a écrit et mis en scène Grand Blanc, une pièce mettant en jeu la querelle de deux pères sur fond de haine raciale.

Cette programmation prend place dans le cadre du « Point fort Tout-Monde », un moment que la Maison de la culture d’Amiens dédie à l’exploration de voix singulières, tournant autour de la multiplicité des identités, comme le montre la référence à Glissant. On y trouve par exemple Black Label ou ???.

Une fille et deux pères

C’est par la question de la filiation que l’auteur réunionnais choisit d’explorer cette question. Une jeune fille, Rita, retrouve son père biologique dans une forêt. Est-il son vrai père ? Il le conteste d’abord, lui qui lui a donné un prénom autre que celui-ci, par trop occidental. Qu’a-t-elle fait de ce prénom initial ? Elle l’a « perdu », dit-elle. Et cette perte apparaît comme un manque impossible à combler, la marque de cette transmission qui n’opère plus. La mère de Rita s’étant remariée à un autre, un homme blanc, c’est désormais celui-ci qu’elle a pris l’habitude d’appeler « Papa », et c’est de son fait qu’elle a changé de de prénom. Un prénom « blanc », plus facile à porter pour qui souhaite prendre place dans la société des dominant.es.

La pièce met d’abord en scène ce face-à-face entre un père et une fille qui se retrouvent sans vraiment se reconnaitre, avant que n’apparaisse le père d’adoption. Un père qui aime sa fille, lui aussi. Alors, les deux hommes exigent de la jeune femme qu’elle choisisse : qui, des deux, reconnaît-elle pour père ? A cette question s’entremêlent toutes les peurs et rancœurs liées au passé raciste et ségrégationniste du pays dans lequel iels vivent.

Haine et ressentiment

Vincent Fontano a en effet choisi de situer sa pièce en Afrique du sud. Un pays où les tensions entre Noir.es et Blanc.hes y atteignent leur paroxysme et où le racisme s’est érigé en structure sociale. Toutefois, derrière cet ancrage géographique, ce sont toutes les relations faites de racisme et de ressentiment qui sont conviées. Au moment où se déroule la pièce, l’apartheid a pris, mais ses effets durent encore, marque du fait que la haine se transmet.

Et c’est là toute la question posée par l’auteur : que transmet-on à ses enfants, quand on a grandi dans un pays ségrégationniste ? Alors que le père biologique tente au début de la pièce de créer, par une chanson, une connivence avec sa fille, c’est bientôt la musique du ressentiment qui se fait entendre. Porteur, selon ses mots des douleurs de son propre père, il attend malgré lui que sa fille reprenne le flambeau. S’ensuit alors une longue tirade, dans laquelle il évoque ce trauma familial, et à laquelle le père d’adoption répond par une autre. A ce duel de rancœur, peut-il y avoir un vainqueur ?

Douceur et violence

La mise en scène de cette violence de moins en moins rentrée repose en grande partie sur la lumière. Plongée dans une quasi obscurité, la scène est traversée d’un immense tronc d’arbre mort, symbole de la forêt dans laquelle se déroule la pièce. Les jeux de lumière prennent appui sur ce gigantesque accessoire, qui met en valeur leur gamme chromatique. L’évolution de cette dernière suit celle de la haine : aux couleurs tendres et pastel du début succède un rouge vif et violent, qui joue l’amour comme le sang de la haine. Car la violence des deux hommes provient en grande partie de l’amour démesuré qu’ils portent à leur fille commune.

Les sons également passent de la douceur à la brutalité. Une chanson aux allures de berceuse et les doigts du papa qui tapent avec légèreté sur le tronc de cet arbre, pour accompagner son chant. Des voix qui prennent du volume, des percussions de plus en plus fortes : tout fait signe vers une issue tragique.

Cette alliance des sons et des couleurs, loin de créer un sentiment de redondance ou de satiété, plonge le public, sans échappatoire possible, dans la force de ce qui se joue sur scène. Le texte résonne, qui fait la part belle aux voix des pères, mais aussi à celle, désespérée, de Rita, dont une longue tirade analeptique donne une étrange coloration au combat paternel. Un texte marquant et une mise en scène riche en signification.

Grand Blanc, texte et mise en scène de Vincent Fontano. Jusqu’au 2 avril à la Maison de la culture d’Amiens.

En tournée au CDN de l’océan Indien – Cité des Arts / La Réunion le jeudi 24 avril et le vendredi 25 avril.

Visuel : © Marie Cerisy